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Editorial : Bien diagnostiquer et vaincre le mal-être - Par Hassan GHEDIRI

Un certain 16 septembre 2019, et depuis le local de sa campagne électorale sis rue Ibn Khaldoun au centre de Tunis, au lendemain de la proclamation des résultats des élections présidentielles le propulsant au second tour en face de l’homme d’affaires Nabil Karoui aujourd’hui exilé à l’étranger, Kaïs Saïed a fait une déclaration qui est restée célèbre. Interrogé par le correspondant d’une agence de presse étrangère sur ce qu’il comptait faire s’il était président, l’ex-commentateur politique et enseignant de droit constitutionnel que les sondages annonçaient déjà comme favori incontestable de l’investiture suprême, a répondu qu’il cherche à créer ce qu’il a appelé le «Bonheur national brut». Un jeu de mots qu’il n’a pas manqué d’employer par la suite dans beaucoup de discours prononcés lorsqu’il accueillait des membres du gouvernement ou bien encore en présidant des conseils de ministres. Saïed déclare parfois que nous n’avons pas besoin du produit intérieur brut (PIB) mais du bonheur national brut (BNB). Le bonheur n’est seulement pas quelque chose de tangible que l’on peut quantifier, contrairement au PIB représentant l’indicateur dominant de la mesure de la production quantitative générée par l’ensemble des activités économiques réalisées à l’intérieur d’un pays. Malgré le désaveu (à peine) caché de Saïed, le PIB reste, encore et toujours, l’indicateur fondamental permettant de jauger le bien-être d’un Etat et donc le bonheur d’un peuple. Certes, la croissance économique que peut indiquer le PIB n’est pas nécessairement synonyme de réduction des inégalités et d’un partage équitable du bien-être de la population, mais elle demeure la seule source de création du bonheur national brut. 

Jusqu’à ce que se mettent en place le nouveau modèle de gouvernance constituant la base du projet politique de Kaïs Saïed censé rompre définitivement avec un système «obsolète» et se déploient les richesses et s’instaurent les égalités, l’on peut quand même se servir des outils «conventionnels» d’évaluation du bien-être des populations. Dans le monde, c’est le World Happiness Report qui est universellement désigné comme l’étude de référence sur l’état du bonheur à l’échelle de la planète toute entière. Fruit d’un partenariat entre l’institut de sondage Gallup, le centre de recherche sur le bien-être de l’université d’Oxford et le réseau des solutions de développement durable des Nations unies, le World Happiness Report établit son classement sur la base des données récoltées pendant trois ans dans plus de 140 pays. Dans l’édition 2024, 143 pays avaient été sondés pour être classés en fonction de leur niveau moyen de satisfaction dans la vie. La Tunisie s’est vue attribuer la note de 4,8 sur 10 qui lui vaut la 113e place, loin derrière l’Algérie (84e) et même la Libye (79e). Les Tunisiens occupent donc les bancs réservés aux peuples les moins heureux au monde. L’objectif n’étant point de dresser une longue liste des indicateurs du manque de bonheur, mais l’on peut se contenter de souligner que notre pays a mérité sa place parce que l’Etat manque toujours d’enclencher les changements et de construire les alternatives supposées générer le «bonheur national brut». 

Quand il a prôné, pour la première fois, le BNB, Kaïs Saïed se serait sans doute inspiré du modèle créé dans l’Himalaya par le roi du Bhoutan, un petit royaume niché entre l’Inde et la Chine qui a décrété en 1972 le bonheur comme devise nationale. Surnommé, depuis, «royaume du bonheur» en raison de l’importance accordée à la mesure du «bonheur national brut» (BNB), le Bhoutan fonde sa politique de développement sur le principe bouddhiste de la «voie du milieu», soit la quête d’un certain équilibre, au détriment des extrêmes. 

Rien ne semble toutefois rapprocher un royaume bouddhiste perdu dans d’Himalaya d’un pays implanté au cours de la Méditerranée comme la Tunisie, excepté peut-être la quête de l’autonomie et l’ambition de moins dépendre de l’extérieur. Tous les défenseurs de l’équité sociale et économique dans le monde tendent néanmoins à considérer le modèle du «bonheur national brut» de Bhoutan comme une réponse aux effets négatifs de la croissance économique sur l’environnement et la société et peut bel et bien servir de guide pour les gouvernements dans l’élaboration et l’exécution de leur politique publique pour le développement du bien-être. Mais en finir avec le mal-être et développer le BNB comme le souhaite Kaïs Saïed, cela nécessiterait l’adhésion et la participation de tous les acteurs, sans exclusion aucune. Parce que la cohésion sociale est également une condition fondamentale d’économie du bonheur que l’on nous promettait. 

H.G.

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