Par Chokri BACCOUCHE
L’administration américaine revient à la charge, plus déterminée que jamais à obliger l’Egypte à accepter d’accueillir une partie de la population palestinienne déplacée de Gaza. En cas de refus, Le Caire se verrait privé de l’aide américaine et c’est à prendre ou à laisser. Selon le journal qatari Al Araby Al-Jadeed, ce message sans ambages, qui a valeur d’un véritable ultimatum de la «dernière chance», a été transmis le week-end dernier par le président des Emirats arabes unis, Mohammed bin Zayed, lors d’une brève visite surprise au Caire. La proposition actuelle implique le transfert de 500 000 à 700 000 citoyens palestiniens de la zone couvrant l’axe nord de Netzarim et les colonies dans le nord de la bande de Gaza. La bande de Gaza serait confinée à la zone située au sud de l’axe de Netzarim, jusqu’à la frontière actuelle avec l’Égypte, selon le plan. Pour forcer les autorités égyptiennes à avaler la pilule, les Etats-Unis ont promis de fournir, en échange de l’acceptation des personnes déplacées, des milliards de dollars pour soutenir la relance de l’économie égyptienne en difficulté.
Tu plies ou tu casses, tu acceptes ce qu’on te propose ou tu seras privé d’aide: telle est la teneur du message livré par les Américains qui mettent, pour ainsi dire, le couteau sous la gorge des Egyptiens afin de les inciter à accepter ce fait accompli, inédit il faut le reconnaitre dans l’histoire des relations internationales. Déterminé à aller jusqu’au bout de ses sombres intentions, le président américain fait monter la pression et place Le Caire dans une situation le moins qu’on puisse dire embarrassante au regard des enjeux énormes que ce dossier sensible implique au triple plan économique, sécuritaire et géopolitique. On sait en effet que l’Egypte bénéficie d’une aide américaine évaluée à 2,1 milliards de dollars, dont 815 millions en assistance économique, le reste en soutien militaire. Il s’agit d’une assistance financière assez importante qui contribue à maintenir à flot l’économie égyptienne. L’enjeu pour les autorités du Caire est donc non négligeable car, en cas de refus, l’aide américaine sera non seulement supprimée mais l’administration Trump pourrait également, de par son emprise sur les bailleurs de fonds internationaux, rendre l’accès aux financements étrangers très difficile pour le pays des Pharaons. Tout ceci sans compter bien sûr le fait que Washington pourrait décréter également, en représailles, un embargo sur les pièces de rechange destinées aux équipements militaires d’origine américaine qui accaparent une part très importante de l’arsenal égyptien.
Les autorités égyptiennes, qui se sont montrées fermes jusque-là en rejetant la proposition de Trump, vont-elles continuer à camper sur leur position ou au contraire céder au chantage américain? Pour des raisons objectives, les responsables égyptiens n’ont pas du tout intérêt à se plier aux exigences étasuniennes, car ils risquent de perdre largement au change avec des retombées potentiellement catastrophiques sur la stabilité du pays. En effet, si d’aventure ils venaient à accepter d’accueillir des déportés palestiniens, ils risqueraient non seulement de se mettre à dos l’opinion publique égyptienne, mais ils seront également tenus pour responsables d’avoir trahi et enterré définitivement la cause palestinienne. Qui plus est, la crédibilité de l’Egypte qui a initié, rappelons-le, un contre-projet au plan américain pour la reconstruction de Gaza, avalisé du reste par les pays arabes, sera sérieusement compromise. En fait, c’est la réputation de l’Egypte en tant que puissance régionale et un des acteurs clés au Proche-Orient qui est véritablement en jeu. L’aide américaine est peut-être assez importante certes, mais elle n’est pas aussi existentielle au regard des autres enjeux géopolitiques majeurs surtout que l’Egypte a de nombreux arguments politiques et stratégiques à faire prévaloir pour inciter l’administration Trump à revenir à de meilleures intentions et éviter, disons-le tout de go, de tenter le diable. Si Washington venait à mettre en œuvre ses menaces de supprimer l’aide américaine à l’Egypte, cela signifierait ipso facto que l’accord de paix avec Israël n’a plus aucune valeur. Bien plus, le forcing américain pourrait pousser également l’Egypte, qui a privilégié depuis l’indépendance du pays une politique pro-occidentale, à virer de bord vers le camp opposé en scellant de nouvelles alliances stratégiques avec des puissances montantes en Asie ou en Extrême-Orient. On doute fort d’ailleurs que les stratèges américano-israéliens aient occulté cette perspective dans leur calcul et c’est la raison pour laquelle on est en droit de penser que la «dernière chance» brandie par Washington à l’adresse des autorités égyptiennes s’apparente beaucoup plus à un coup de bluff qu’à une véritable menace.
Un coup de bluff vicieux et sournois visant à faire avaler la pilule amère de la soumission, la servitude et à compromettre définitivement l’avenir du peuple palestinien qui lutte pour sa survie et son indépendance. L’Egypte et tous les peuples libres ne sauraient tolérer et accepter une aussi abominable violation du droit international et un marchandage aussi bas de ceux qui prétendent être paradoxalement les gardiens du temple de la démocratie et de la liberté…
C.B.