Par Hassan GHEDIRI
La bonne pluviométrie qui a fortement amélioré le taux de remplissage des barrages du pays ne doit pas détourner l’attention des autorités sur un fléau qui passe presque inaperçu.
La Tunisie, déjà confrontée à un stress hydrique chronique, est confrontée à la multiplication des forages illicites. Ces puits sauvages, creusés sans autorisation ni contrôle, exacerbent la surexploitation des nappes phréatiques, fragilisant davantage des réserves d’eau souterraine déjà mises à rude épreuve par des années de sécheresse répétées.
Les forages sauvages, réalisés sans études préalables ni suivi technique, perturbent les équilibres hydrologiques. Contrairement aux puits réglementés, ces ouvrages clandestins ne font l’objet d’aucun test de pompage permettant d’évaluer l’impact sur la nappe. Résultat: les réserves souterraines, pourtant vitales pour l’agriculture et pour l’eau potable, s’épuisent à un rythme alarmant.
Selon le dernier rapport du Bureau de planification et des équilibres hydrauliques, la Tunisie compte aujourd’hui plus de 201 813 points d’eau, dont 48 762 forages. Parmi eux, 32 575 seraient illicites, soit près du double du nombre de forages autorisés. En 2023, le volume d’eau extrait illégalement des nappes a atteint 800,6 millions de m³, sur un total de 3 203 millions de m³ exploités.
La situation est d’autant plus critique que la Tunisie subit de plein fouet les effets du dérèglement climatique. Les précipitations irrégulières et la baisse des apports hydriques ont entraîné une raréfaction des ressources. En ce début d’année 2025, les barrages affichent des taux de remplissage inquiétants, certains ne dépassant pas 30 % de leur capacité. Les nappes phréatiques, surexploitées depuis des décennies, accusent une baisse continue de leur niveau, avec des risques de salinisation accrue dans les zones côtières.
Des règlements plus répressifs
Face à cette crise, les autorités tentent de réagir. Le 25 février dernier, un Conseil ministériel a examiné la version finale du nouveau code des eaux, amendé pour répondre aux défis climatiques et économiques. Lors d’une séance plénière le 11 mars, le ministre de l’Agriculture a insisté sur la nécessité de renforcer les sanctions contre les forages illégaux et de garantir une gestion durable de l’eau, conformément à la Constitution de 2022.
Le projet de loi prévoit des mesures plus strictes pour dissuader les contrevenants, mais leur application reste incertaine. Entre la corruption, le manque de moyens de contrôle et la pression croissante des agriculteurs privés d’eau officielle, les défis sont immenses. Pourtant, sans une régulation efficace, la Tunisie risque de voir ses dernières réserves souterraines s’assécher d’ici quelques années, avec des conséquences dramatiques pour la sécurité alimentaire et la stabilité sociale.
La lutte contre les forages sauvages doit devenir une priorité nationale, car si rien n’est fait, l’exploitation incontrôlée des nappes souterraines avec les changements climatiques ne manqueront pas d’accélérer l’épuisement des ressources en eau, affectant directement la sécurité hydrique du pays. Ainsi, il est impératif que le gouvernement durcisse le contrôle et la lutte contre la prolifération des forages sauvages. Une démarche qui exige la mise en place des outils garantissant à la fois l’accès à l’eau à tous les Tunisiens et une exploitation durable et résiliente des ressources.
H.G.