Par Theodoros Terzopoulos, Grèce :
Metteur en scène, pédagogue, auteur, fondateur et directeur artistique de la compagnie de théâtre Attis, inspirateur des olympiades du théâtre et président du comité international des olympiades du théâtre
Le théâtre peut-il percevoir l'appel désespéré que nos époques lancent, dans un monde où les citoyens se trouvent appauvris, enfermés dans les cellules d'une réalité virtuelle, perdues dans l'étreinte suffocante de leur intimité ? Dans un monde où les existences se robotisent, écrasées par un système totalitaire de contrôle et de répression, étendant son ombre sur chaque facette de la vie ?
Le théâtre se soucie-t-il de la destruction écologique, du réchauffement climatique, de la perte massive de biodiversité, de la pollution des océans, de la fonte des glaces, de l'augmentation des incendies de forêts et des phénomènes météorologiques extrêmes ? Le théâtre peut-il devenir un acteur vivant de l'écosystème ? Depuis de nombreuses années, le théâtre observe l’impact humain sur la planète, mais il peine à faire face à cette problématique.
Le théâtre s'inquiète-t-il de la condition humaine telle qu’elle se façonne au 21e siècle, où l’individu devient le jouet des intérêts politiques et économiques, des réseaux médiatiques et des puissances d’opinion ? Où les réseaux sociaux, tout en facilitant la parole, se transforment en alibi immense offrant cette distance nécessaire entre nous et l’Autre ? Une peur silencieuse, mais profonde, de l’Autre, du différent, de l'Étranger, envahit nos pensées et guide nos actions.
Le théâtre peut-il être un atelier pour la coexistence des différences sans prendre en compte le traumatisme béant ? Ce traumatisme béant nous pousse à reconstruire le Mythe. Et pour reprendre les mots de Heiner Müller : « Le Mythe est un agrégat, une machine à laquelle de nouvelles machines, toujours différentes, peuvent être reliées. Il transporte l’énergie jusqu’à ce que la vitesse croissante fasse exploser le champ culturel » ; et j’ajouterais, le champ de la barbarie.
Les projecteurs du théâtre peuvent-ils éclairer le traumatisme social et cesser de se concentrer sur eux-mêmes de manière trompeuse ? Des questions sans réponses définitives, car le théâtre existe et perdure grâce à des questions sans réponse.
Des questions soulevées par Dionysos, traversant son lieu de naissance, l'orchestre du théâtre antique, et poursuivant son silencieux voyage de réfugié à travers les paysages de la guerre, aujourd'hui, en cette Journée Mondiale du Théâtre.
Regardons dans les yeux de Dionysos, le dieu extatique du théâtre et du Mythe, qui tisse ensemble passé, présent et futur, enfant de deux naissances, de Zeus et de Sémélé, porteur d’identités fluides, féminine et masculine, en colère et bienveillante, divin et animal, oscillant entre folie et raison, ordre et chaos, acrobate sur la crête de la vie et de la mort. Dionysos pose une question ontologique essentielle : « Quel est le sens de tout cela ? » Une question qui entraîne le créateur dans une quête toujours plus profonde, à la recherche des racines du mythe et des multiples facettes du mystère humain.
Il nous faut de nouvelles voies narratives, destinées à cultiver la mémoire et à forger une nouvelle responsabilité morale et politique, afin de sortir de la dictature multiforme des actuels « Âges Sombres ».