La chronique de Soufiane Ben Farhat
● Aujourd’hui, en lieu et place des Accords d’Abraham, on revient à l’esprit et à la lettre du triple-Non de la résolution du sommet de Khartoum en 1967 : “Pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël et pas de négociations avec Israël”
La guerre, toute guerre, chamboule profondément les rapports de force sur le terrain et dans les consciences communes. Dans l’histoire des peuples et des nations, les guerres constituent des seuils de rupture majeurs. La guerre menée par l’armée d’occupation israélienne dans la bande de Gaza depuis quatre mois n’échappe point à la règle. Sauf que, cette fois, elle opère des décentrements structurels stratégiques dans l’ordre établi dans la région depuis des décennies.
Premier perdant, Israël, malgré les dizaines de milliers de victimes civiles palestiniennes et les incommensurables destructions opérées par la soldatesque israélienne dans la bande de Gaza.
Jamais depuis son irruption brutale et sanguinaire dans la région en 1948, Israël n’est aussi proche de la fin. Son temple du pouvoir, l’armée d’occupation, vacille. Ses soldats ont peur, désertent, se rebellent, malgré la conspiration du silence qui s’y rattache.
Humiliée par la résistance palestinienne le 7 octobre dernier, l’armée israélienne a perdu tout crédit auprès de l’opinion israélienne proprement dite. Elle n’y croit plus. Elle est désemparée.
Ne fut le gigantesque soutien de ses alliés occidentaux nord-atlantiques en bâtiments de guerre, armes, munitions, ravitaillement et mercenaires, Israël serait déjà en voie de décomposition. Du coup, Israël n’est plus crédible auprès de ses propres alliés, Etats-Unis d'Amérique en prime, qui l’ont sur-armé et sur- financé depuis plus de soixante-dix ans. Pour maints pays occidentaux, Israël, qui officiait prétendument comme “un avant-poste du monde libre dans la région” constitue désormais et manifestement un lourd fardeau qui saigne le trésor et outrage l’opinion interne.
L’opinion occidentale retournée
Mise à mal par la profonde crise du capitalisme agonisant mais qui ne veut pas rendre l’âme, l’opinion occidentale meurtrie et exsangue digère mal tous les deniers publics consentis en faveur d’Israël tandis que le commun des citoyens crève la dalle. C’est d’autant plus inacceptable et oppressant que des millions de citoyens occidentaux ont manifesté et manifestent toujours contre les atrocités de la guerre israélienne contre les Palestiniens. Eux qui, des décennies durant, ont été gavés par les récits de la Shoah, découvrent Israël dans la posture de Hitler et les Palestiniens plus que jamais symbole majeur des victimes de l’holocauste.
Et cette même opinion est outragée par la persistance des dirigeants occidentaux à défendre les crimes de guerre d’Israël dans tous les cas de figure et avec arrogance. C’est on ne peut plus manifeste dans des pays comme la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les États-Unis d’Amérique. Témoin, les récentes flambées de colère citoyennes et paysannes en Europe occidentale, particulièrement en France, Belgique, Allemagne et Italie.
D’ailleurs, les médias occidentaux pro-israéliens de longue durée ont perdu eux aussi leurs lambeaux de crédibilité à la faveur de la guerre de Gaza. Une bonne partie des réseaux sociaux et de la blogosphère y suppléent. Médias alternatifs et citoyens, ils cimentent dans les pays occidentaux proprement dits la sourde colère anti-israélienne. Ils dénoncent aussi les compromissions de l’establishment des principaux États occidentaux en collusion avec l’expédition militaire israélienne.
La ligue des Etats Arabes complices
Côté Sud, Israël et ses alliés ne sont guère mieux lotis. La guerre de Gaza a opéré une véritable mise à nu de tous les complices déclarés ou tapis dans l’ombre d’Israël.
D’abord, les États qui ont normalisé avec Israël. Ils sont carrément en porte-à-faux de leurs propres opinions. Du Golfe à l’Atlantique, c’est le même topo. Les citoyens soutiennent la résistance palestinienne et vitupèrent les collusions des pouvoirs avec Israël. Le refus est radical et catégorique. La cruauté israélienne, avec jusqu’ici plus de 27.000 Palestiniens tués, 10.000 disparus et près de 70.000 blessés, n’en finit guère d’alimenter le ressentiment et la fureur.
Le fameux programme de normalisation avec Israël baptisé Accords d’Abraham est tombé à l’eau. Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou l’avait qualifié pourtant de “tournant de l’histoire”. Il s’en retrouve aujourd’hui le propre fossoyeur. Ces Accords avaient été signés avec le Bahreïn et les Émirats arabes unis, le Maroc et le Soudan, sous le parrainage des États-Unis d’Amérique et devaient enchaîner l’Arabie saoudite, en plus des États déjà normalisateurs tels l’Egypte, la Jordanie ou le Qatar.
Aujourd’hui, en lieu et place des Accords d’Abraham, on revient à l’esprit et à la lettre du triple-Non de la résolution du sommet des États Arabes de Khartoum en 1967 : “Pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël et pas de négociations avec Israël”.
C’est dire la tourmente de la Ligue des Etats Arabes. Son silence en dit d’ailleurs long sur son impuissance et sa frayeur devant l’opinion qui s’en gausse comme d’une excroissance pervertie de la trahison à tout bout de champ. Elle aussi semble prise dans un irréversible tournoiement de disparition imminente.
En même temps, le front du refus a repris vigueur. Outre les peuples arabes quasi unanimes, il englobe des États tels l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen, la Tunisie, l'Algérie et la Libye.
A l’échelle internationale, le décentrement stratégique est également de mise. Hormis l’Inde, en collusion ouverte avec Israël, le Sud global rapplique. Avec la récente irruption des Brics en majorité dudit tiers-monde, les pays du Sud prennent fait et cause indéniablement pour la cause palestinienne. L’Afrique du Sud, qui a réussi à incriminer Israël pour génocide à Gaza devant la Cour Internationale de Justice de la Haye, en est le fer de lance. c’est une autre paire de manches, nous y reviendrons.
S.B.F