La chronique de Soufiane Ben Farhat
C’est quand même effarant. Cela fait plus de cent-dix jours que la machine de guerre israélienne décime les Palestiniens dans la bande de Gaza ; paradoxalement, le président de l'Autorité palestinienne se fait rare. Que dis-je, Mahmoud Abbas fait carrément le dos rond !
Et pourtant. Pour une fois, le journal français Libération a “osé” il y a quelques jours une analyse raisonnée et fondée sur l’ampleur réelle du cataclysme meurtrier à Gaza : “Officiellement, l’offensive israélienne dans la bande de Gaza a déjà tué plus de 24.400 personnes, en grande majorité des femmes et des enfants, selon les dernières estimations du ministère de la Santé de Gaza administré par le Hamas. Un taux de mortalité quotidien supérieur à celui de tout autre conflit majeur du XXIe siècle. Et ce bilan déjà effroyable pourrait être bien supérieur à celui annoncé. Celui-ci exclut en effet les personnes décédées hors des hôpitaux, enterrées de manière précipitée, et dont les corps sont toujours ensevelis sous les décombres. Soit des milliers, voire des dizaines de milliers de Gazaouis.
«Sur la base de l’expérience passée du conflit dans le territoire palestinien occupé et dans d’autres régions, il est possible que les chiffres soient sous-estimés», confirme Tarik Jasarevic, porte-parole de l’Organisation mondiale de la Santé. Le professeur d’économie Michael Spagat, président de l’association «Every Casualty Counts» («chaque victime compte»), assure de son côté qu’il ne «serait pas surpris de découvrir que le nombre réel de morts violentes est deux fois plus élevé» que les chiffres du ministère de la Santé.”
Surprenant effacement
C’est aussi désespérant et insoutenable qu’un déluge de sang, non ? Malgré cela, le président Mahmoud Abbas se calfeutre dans son terrier. Oui, c’est évident, les bureaux présidentiels à Ramallah s’apparentent à un terrier où l’on se cache quand on a peur. Les bunkers, eux, peuvent être occupés par les combattants.
Résumons. La guerre menée par la soldatesque israélienne à Gaza a revêtu d’emblée une dimension régionale et internationale. Régionalement, c’est un arc de cercle qui s’étend d’est en ouest de l’Irak au Yémen, en passant par la Syrie et le Liban. Des combats acharnés ont lieu sur ces fronts aussi, principalement au Sud-Liban. Internationalement, cela implique les principaux pays de l’OTAN, Américains en tête, avec leurs navires de guerre et leurs porte-avions y compris nucléaires patrouillant en Méditerranée orientale et en Mer rouge. L’Iran, la Chine et la Russie demeurent quant à eux en position d’embuscade. De son côté, l’opinion mondiale, principalement dans les pays occidentaux, s’est exprimée et n’en finit pas d’exprimer son refus catégorique de cette guerre inique, meurtrière et injuste.
L’Afrique de Sud s’est même saisie de la Cour Internationale de Justice (CIJ) de La Haye incriminant Israël pour génocide à Gaza. Outre les éminents juristes sud-africains et internationaux plaidant à La Haye, même le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’est pleinement investi à la CIJ où le président Mahmoud Abbas a brillé par son effacement.
Soyons réalistes. La posture de Mahmoud Abbas n’est point obligée mais volontaire. L’Autorite palestinienne, avec ses quelque soixante-mille forces de sécurité armées, se maintient délibérément hors du conflit. Même si l’armée d’occupation israélienne a tué des centaines de Palestiniens en Cisjordanie.
Diplomatiquement, l’Autorité palestinienne adopte la politique de la chaise vide. Une aberration là aussi. Ce qui en dit long sur son degré de compromission, sinon délibérément consentie, du moins pratique et effective.
Une excroissance aberrante des défunts accords d’Oslo
Dans la guerre, dans toute guerre, le poids des hommes à la barre compte. L'empereur allemand Guillaume II, déposé en 1918 à l’issue de la Première Guerre mondiale, avait écrit dans ses Mémoires : “La cause principale de la défaite allemande ? Clemenceau… Non, ce ne fut pas l'entrée en guerre de l'Amérique, avec ses immenses renforts… Aucun de ces éléments ne compta auprès de l'indomptable petit vieillard qui était à la tête du gouvernement français… Si nous avions eu un Clemenceau, nous n'aurions pas perdu la guerre.”
Par antithèse, si l’on ose dire, l’exemple du défunt président Yasser Arafat est on ne peut plus éloquent à ce propos. Ce fut un véritable combattant qui a transformé la cause palestinienne de simple affaire de réfugiés en une question de peuple, de patrie spoliée et d’Etat.
Au fait, qu’est-ce que Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne ici et maintenant ? C’est tout simplement une excroissance aberrante des défunts accords d’Oslo de 1993. Dans son petit réduit à Ramallah, le président Mahmoud Abbas s’agrippe à une fiction, une chimère en quelque sorte. Elle consacre déjà et préfigure un bilan politique complètement gâché.
Dans l’histoire, pour les dirigeants principalement, il faut savoir ne pas rater sa sortie. Nous en connaissons de bien affligeants exemples depuis Lamine Bey. Mahmoud Abbas pourrait sauver la mise par un spectaculaire retournement de posture. Quitte à quitter Ramallah et prendre l’opinion mondiale, ladite communauté internationale et le grand tribunal de l’Histoire à témoin.
Sinon, au bout du compte, la vie est composée pour 10% par ce qu’il vous arrive et par 90% par comment vous y réagissez n’est-ce pas.
S.B.F