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Ces Tunisiens orphelins du FMI

La chronique de Soufiane Ben Farhat

 Chassez le superficiel, il revient au galop. En Tunisie, certains pseudo-aristocrates cultivent à loisir le complexe de l’étranger. Ils n’ont de cesse de rechercher et mettre en relief leur origine prétendument étrangère, au prix, le plus souvent, d’élucubrations et phraséologie contorsionniste accompagnée de facéties loufoques. Nous sommes l’un des rares pays au monde où certaines personnes s’évertuent à camper la crème de la nation tout en se déclinant de pure souche étrangère. Leur dédain à l’endroit des gens du dedans et de l’intérieur est manifeste.

Et pour cause. Tout au long de son histoire plurimillénaire, la Tunisie a connu pas moins de vingt-trois colonisations ethniques et quatorze conquêtes militaires. Ça laisse des traces et des résidus, forcément. Des nostalgies et des délires de grandeur aussi.

C’est en très grande partie lié aux schizophrénies et obsessions héréditaires des séquelles de l’aristocratie désargentée. Fort heureusement, cela se confine dans une frange infime réellement ou prétendument liée aux descendants des janissaires turcs et des mamelouks de divers horizons et provenances.

Mais cela déteint également sur la politique. La politique politicienne je veux dire. Témoin, la colonne de politiciens -lire politicards- en perpétuelle jérémiades depuis que la Tunisie a suspendu ses pourparlers avec le FMI sur un hypothétique prêt de 1,9 milliard de dollars qui traînait en longueur depuis trois ans.

A en croire que le FMI nous a lui aussi conquis de quelque manière au fil de l’histoire. En tout cas, il s’avère qu’il a une colonie réelle dans nos murs. Elle grouille, gribouille et grenouille à sa manière, à telle enseigne qu’on peut légitimement parler des orphelins du FMI.

 

L’idylle manquée à Davos

La participation du chef du gouvernement, M. Ahmed Hachani, cette semaine au Forum de Davos a relancé les lamentations. A en croire le communiqué de La Kasbah, lors de l’entrevue du chef du gouvernement avec Mme Kristalina Georgieva, Directrice du FMI, le processus de la coopération financière et technique avec le Fonds a été discuté”. M. Hachani y a affirmé que “la Tunisie a rempli tous ses engagements financiers extérieurs pour l’année 2023, et notre pays ne tardera pas à payer ses dettes extérieures avant l’année 2024”.

De son côté, Mme Kristalina Georgieva a affirmé, selon le communiqué de La Kasbah, que “la Tunisie fait partie des pays qui ont réussi à obtenir des résultats positifs sur les plans économique et financier malgré les difficultés auxquelles elle est confrontée, qui sont principalement causées par des facteurs externes, expliquant que la politique générale du Fonds n’est pas un diktat, mais tient compte des particularités de chaque pays, exprimant son ouverture à toutes propositions dans le cadre de la coopération avec notre pays”.

N’empêche. Pour certains commentateurs et experts universitaires, il y manque l’empathie ardente et les salamalecs appuyés. L’idylle manquée quoi. A les en croire, la rencontre était protocolaire et froide, M. Hachani ayant éludé tout bonnement de réaffirmer la reprise des pourparlers avec le FMI sur le prêt de triste renommée. De plus, font-ils remarquer, le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie n’était pas de la partie, n’ayant pas fait partie de la délégation officielle à Davos. Outre le chef du gouvernement, celle-ci comprenait la ministre des Finances et le vice-ministre des Affaires étrangères.

Pour contenter ces gens-là, il aurait fallu que le chef du gouvernement et Mme Georgieva se donnent longuement l’accolade et soupirent de contentement sous les feux de la rampe et le regard attendri du gouverneur de la Banque centrale qui aurait dû, de surcroît, écraser une spontanée larme d’émerveillement et d’attendrissement.

La politique est un spectacle non ? Autant s’y investir à la Davoswood tant que nous y sommes.

 

La souveraineté ou le diktat

Maintes fois j’ai entendu quelque orphelin du FMI déclamer à cor et à cri dans quelque plateau radio : “Pourquoi invoquer la souveraineté nationale vis -à-vis du prêt du FMI et ne pas l’évoquer quand il s’agit d’autres prêts ?”. Soit. Mais à bien y voir l’interrogation tonitruante équivaut à noyer le poisson. Et en connaissance de cause par surcroît.

En fait, en décidant de suspendre les pourparlers avec le FMI, la Tunisie a évoqué les considérations de souveraineté et le nécessaire maintien des équilibres sociaux internes. Nul n’ignore en effet que le FMI exige illico presto la levée de la compensation des produits de base et énergétiques, la privatisation à tout-va des entreprises nationales publiques et la compression des salaires accompagnée du gel des recrutements. C'est-à-dire généraliser la paupérisation et semer les ingrédients des jacqueries et soulèvements populaires.

Raison pour laquelle, qui s’excuse s’accuse, la Directrice du FMI a voulu expliquer d’une manière ostentatoire que “la politique générale du Fonds n’est pas un diktat”.

Arrêtez d’insulter notre intelligence s’il vous plaît. Ne soyons guère dupes ! Le traitement de choc du FMI signifie toujours le diktat. Ça a toujours été le cas. La Grèce en fut l’illustration la plus navrante et douloureuse au cours de la décennie écoulée.

Et puis rien qu’au cours de l’année 2023, l’Egypte, l’Ethiopie, le Ghana, la Zambie et le Sri Lanka l’ont éprouvé à leurs dépens. L’Ethiopie, la Zambie et le Ghana se sont déclarés carrément en défaut de paiement de leurs dettes tandis que l’Egypte, conseillée par le FMI, a vu sa monnaie dévaluée brutalement de moitié. Bien pis, il s’ensuivit une subséquente fuite de capitaux de 22 milliards de dollars de l’Egypte vers Chypre en moins de trois mois en début d’année. L’Egypte a demandé du coup au FMI d’arrêter l’hémorragie, ce qui fut fait en toute discrétion.

 

Les valeurs sacrées

Avant la révolution de 2011, on ne contractait guère de prêt auprès du FMI, hormis une seule fois suite à la crise de 1986. Nous avions subi alors le fameux Programme d’Ajustements Structurels, qui a eu raison du régime de Bourguiba, destitué en 1987.

Nous avons sollicité le FMI dès 2013 et à quatre reprises du fait de l’incurie, du vol des deniers publics, de la corruption généralisée et des compromissions de la majeure partie des gouvernements de la Décennie noire (2011-2021). On a dilapidé les ressources, pillé les finances et les deniers publics, surchargé la fonction publique de centaines de milliers de nominations partisanes et douteuses, détourné les fonds au profit des séides du parti Ennahdha et de ses alliés et acolytes en guise de compensation puis on a contracté des prêts auprès du FMI pour compenser le stupre et la corruption.

Cela, les orphelins du FMI le savent pertinemment, mais n’en pipent guère le moindre mot. Certains d’entre eux étaient membres des coalitions partisanes gouvernementales de la Décennie noire. Là aussi ils se taisent. Suivez mon regard.

Dans les pays qui se respectent, des questions telles que l’endettement extérieur faramineux ou l’écologie relèvent du socle des valeurs sacrées, indivises entre tous, par-delà les casquettes idéologiques et les chapelles partisanes. Ce n’est guère le cas chez nous.

Les orphelins du FMI veulent remettre les pendules à l’heure du bradage de l’économie nationale. Peut-être même y a-t-il quelques nostalgiques du système de pillage généralisé de l’économie et de toutes les ressources du pays, pillage dont ils ont été les fervents promoteurs.

Le baron Louis disait que “l'État doit être le plus honnête homme de France”. Allez faire comprendre cela aux orphelins du FMI.

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