Le 10 août 2023, en marge de la célébration, au palais de Carthage, de la journée du Savoir, Kaïs Saïed s’est montré très méfiant à l’égard de la vitesse avec laquelle se développe l’intelligence artificielle dans le monde et son déploiement qui est en train de transformer tous les domaines. Dans l’allocution prononcée devant une pléiade de lauréats formés de meilleurs élèves et étudiants ayant brillamment réussi les examens nationaux, Saïed a jugé, sans détour, que l’IA est un danger pour l’humanité entière, capable de saper notre souveraineté et de déshumaniser nos sociétés. Mais depuis cette déclaration qui a suscité des réactions très mitigées, il semble que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Car, aujourd’hui, il y a une conviction au sein de l’Etat quant à la nécessité de tirer profit des applications avantageuses et presque incalculables de l’IA dans tous les domaines, plus particulièrement dans l’éducation. C’est en effet ce que l’on peut deviner de l’implication du ministère de l’Education dans la démarche initiée par l’ONU dans le monde destiné à prouvoir l’IA comme outil de modernisation de l’éducation. Noureddine Nouri, le ministre de l’Education, vient de l’affirmer clairement à l’ouverture du colloque international organisé à Tunis en collaboration avec l’UNICEF qui a démarré mardi et qui prend fin aujourd’hui. A l’occasion de cet événement placé sous le thème «l’IA et ses applications dans l’enseignement», le ministre a considéré que la Tunisie doit s’approprier l’IA pour moderniser son système éducatif, selon une approche garantissant la souveraineté. Pour dire que la Tunisie ne compte pas (et n’a pas le choix d’ailleurs) tourner le dos aux bouleversements d’une ampleur inédite que l’IA est en train de provoquer dans le monde. Dans l’Education, puisque c’est l’un des secteurs qui embarrassent le plus l’Etat en Tunisie par ses multiples dysfonctionnements, l’IA serait capable de changer beaucoup de choses. Nombreux sont en effet les pays qui l’on déjà fait qui peuvent le confirmer. Pour le cas de la Tunisie qui peine à résorber des défaillances structurelles telles que les classes surchargées (jusqu’à 40 élèves par enseignant dans les régions rurales selon l’UNICEF), la disparités régionales (30% des écoles rurales manquent d’accès à internet), et le taux d’abandon scolaire alarmant (18% au secondaire, selon un rapport de la Banque mondiale en 2023). Face à ces défis, l’IA représente une grande opportunité, à condition d’en maîtriser les risques.
En fait, grâce à l’IA il sera possible de personnaliser l’apprentissage, ce qui permet de combler une fois pour toutes les inégalités d’apprentissage. L’Afrique du Sud, par exemple, a pu permettre à un peu plus de 2 millions d’élèves d’accéder à des cours de mathématiques et sciences ajustés à leur rythme grâce à une plateforme numérique alimentée par des algorithmes d’apprentissage ciblés et personnalisés. Résultat: une hausse de 15 % des taux de réussite dans les écoles touchées par ce projet. La Tunisie pourrait s’en inspirer pour réduire l’écart entre zones urbaines et rurales, en déployant des outils comme des tuteurs virtuels capables de fonctionner hors ligne. Dans le monde arabe, c’est l’expérience des Émirats arabes unis qui mérite d’être suivie. En utilisant l’IA, un assistant pédagogique a été créé pour analyser les erreurs des élèves en temps réel. Selon le ministère émirati de l’Éducation, cet outil a réduit de 25 % le décrochage en mathématiques. Egalement, au Maroc, l’université Polytechnique Mohammed VI a développé des outils IA qui fournissent des informations et des programmes d’études au plus haut niveau et ce en permettant aux étudiants marocains d’accéder aux thèses les plus récentes et les plus importantes sur n’importe quel sujet.
Mais l’IA n’est pas une solution miracle que l’on doit adopter, les yeux fermés. En 2024, une étude de l’UNESCO a révélé que 90 % des outils éducatifs utilisés en Afrique francophone étaient conçus par des entreprises européennes ou américaines. Ceci suscite beaucoup d’inquiétudes pour la souveraineté culturelle. La Tunisie doit donc investir dans des solutions locales, comme l’a fait le Maroc avec son projet de l’IA appliquée à l’éducation. Le défi est d’éviter que l’IA ne standardise à outrance les apprentissages. La Tunisie a l’opportunité de devenir un modèle régional, si elle parvient à développer des partenariats régionaux et internationaux fructueux autour de l’IA axés sur le développement des ressources éducatives facilement accessibles, l’initiation des enseignants à l’IA et la régulation éthique.
H. G.