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Chronique j’ai lu : Par Amna Atallah Soula - HERVE le TELLIER : L’ANOMALIE (Prix Goncourt 2020)

« Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension »

« L’Anomalie » est façonnée à partir d’un melting pot de genres.Les fondations de la construction du roman s’édifient à partir de l’imaginationcertes : vaste imaginaire. Mais en même temps, la rigueur dupointilleux mathématicien (que l’auteur compte dans son itinéraire d’étudiant), est usage fréquent. Le Tellier enchante avec ses réflexions économique, politique, voire même psychologique et philosophique.

Du fantastique, de la science-fiction, Hervé le Tellier nous en gave. Le coup d’envoi de « l’Anomalie » part du colt de Blake, «il fait sa vie de la mort des autres ». L’auteur s’abandonne à dépeindre la genèse, les traces d’un tueur à gage. Il met également les bouchées doubles lors des investigations du FBI, de la NSA, de la CIA et tous les services de renseignements en France et ailleurs ; sans oublier le face- à- face de ses personnages avec leur double.

  «La vie est un songe dit-on»

Les investigations dans cet ouvrage sont menées suivant la méthode du journaliste qu’est le Tellier. Il n’omet aucune source même religieuse. S’en mêlent également le Président américain qui fait appel à des probabilistes, des physiciens, des scientifiques de tous bords, des prix Nobel pour expliquer le phénomène du double de l’avion d’Air France 006 et de ses passagers. L’auteur ne s’embarrasse pas pour étaler les éclaircissements apportés par les trois religions monothéistes et bouddhiste à ce phénomène, voire aussi la rencontre du troisième type.

L’auteur s’amuse, ce style d’écriture s’amplifie par les temps qui courent. Hervé le Tellier crée, avec le même acabit que pour ses personnages, son propre double. Le personnage de l’écrivain Victor Miesel n’est autre que le Tellier qui ressemble à Kafka jeune. Pareille à lui, l’écrivain du roman, publie, chose étonnante, une œuvre du même titre : « l’Anomalie ». Ce titre va connaitre un succès sans précédant (une prémunition du Goncourt et du succès accueilli par « l’Anomalie » de le Tellier ?). Par moment, on le découvre non complaisant, même caustique envers lui-même. L’amour ne va pas de soi, avec humour,Miesel lève un voile sur ses sentiments.

Pas que Miesel, André, l’intelligent architecte, ne peut mettre un frein à son obstination afin de s’empêcher d’envahir Lucie. Cette dernière finit par ne plus le supporter et se heurte à la réalité « s’il vous plait pas de leçon… (in fine) L’amour, c’est ne pas pouvoir empêcher le cœur de piétiner l’intelligence » ». Quel humour ! 

Aptitude au féminin

Puisque se trouvant en plein dans la fête nationale des femmes, je n’ai pu me retenir de souligner une réflexion de l’auteur sur l’aptitude féminine. Le personnage fascinant de l’avocate « négresse surdouée » commande une attention particulière. Son milliardaire de client Prior,observe que le cerveau de Joanna est comparable à une « cathédrale gothique ». L’avocate réplique « c’est plutôt mieux qu’un cerveau d’homme » ajoutant que le père de Simone de Beauvoir lui, répète à qui veut bien l’entendre, qu’elle est munie d’un « cerveau d’homme ».

Cette héroïne, Joanna, assume allègrement ses origines. Elle s’engage dans la vie avec détermination à toute épreuve, elle balise son devenir. L’auteur fait de ses personnages féminins des individus éminents.

Multiples sont les références à de grands noms et de figures lumineuses de la pensée universelle. Ce vaste savoir est preuve d’un esprit ouvert à la mixité des cultures.

Diversité et IA s'en mêlent

Avec le récit sur l’avocate, le Tellier évoque l’appât du gain facile, les enjeux de l’industrie pharmaceutique, le monde politique et celui des affaires. Il nous embarque vers certains pays d’Afrique. Il se désole face à l’ampleur de la corruption, de la violence qui y règnent…

Pour l’auteur « le Doubaï-africain » est une monstruosité : les buildings de luxe surplombent, de leurs hauteurs, des bidonvilles et des égouts à ciel ouvert. Les diplomates affectés dans ce continent, affirment qu’ici s’y dessine le devenir du monde, (pertinente métaphore !) Ils persistent et ajoutent que « ce monde est en train de s’éloigner de la civilisation ».

Approprié est ce clin d’œil à l’Afrique. Ce qu’avance l’auteur tombe à point nommé quand, les horreurs se produisant à Gaza, au vu et au su du monde « civilisé », laisse indifférent. Un monde où certains pays invoquent à tout bout de champs, le droit à la démocratie, les droits humains, les libertés…Et, ils demeurent totalement indifférents aux insoutenables images saturant Facebook. Il importe de souligner que ces images sont moins bien présentes dans les médias officiels de ces démocraties.

Le Tellier, imprégné de la culture de son temps, celle en l’occurrence de l’intelligence artificielle (l’A I), n’omet pas d’en parler.

De la profondeur, ce roman n’en manque pas. « N’allez pas là où le chemin vous mène. Allez là où il n’y a pas encore de chemin et laissez une nouvelle trace ». Dans un style fort accessible, c’est ce que recommande l’auteur dans la troisième partie de l’ouvrage.

 Il met les personnages du vol Air France 006 Paris-New York, (lui-même en double), face à eux- mêmes. Ils s’explorent pour découvrir ce qui leur échappe d’eux-mêmes. 

La dernière page est toutefois mystérieuse. Elle ne manquera pas d’intriguer les lecteurs. De l’entonnoir ou sablier, tel qu’est écrit le dernier chapitre, je n’ai pu déceler « que sable fin ». A chacun son interprétation…

A. A. Soula 

 

 

 

 

 

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