Par Soufiane Ben Farhat
Les observateurs avertis en conviennent. Le Parlement tunisien issu des législatives de 2022 refuse d’être une simple courroie de transmission de l’exécutif. Ces dernières semaines, des passes d’armes non déguisées y ont lieu entre les élus et les représentants du gouvernement. Et c’est de bonne guerre.
Et encore, la seconde chambre du Parlement n’a pas encore été définitivement installée. C’est prévu courant avril prochain selon le timing des élections adopté par l’Instance supérieure indépendante des élections (ISIE).
Trois pommes de discorde principales attestent des divergences entre le Parlement et l’exécutif en général, chapeauté par le président de la République et le gouvernement en particulier. La première concerne la criminalisation des relations avec Israël. Un projet de loi adopté par une majorité d’élus est sans cesse reporté depuis des mois. La deuxième a trait à l’amendement du fameux décret-loi 54 dont l’article 24 est considéré comme liberticide par un grand nombre d’opposants. La troisième porte sur une éventuelle motion de censure contre le gouvernement pour incompétence, évoquée devant les médias la semaine passée par certains élus.
Comparses, héros et opportunistes
C’est de bonne guerre dira-t-on de prime abord. Tout Parlement a une fonction de contrôle et, le cas échéant, de sanction du pouvoir exécutif. Mais il y a un hic. Certaines mouvances avaient auparavant appelé au boycott des élections législatives et régionales et assimilé les élus à des comparses. Aujourd’hui, il s’en trouve qui comptent sur ces mêmes élus pour faire échec au gouvernement. Les comparses, à leurs yeux, seraient devenus du coup des héros porteurs d’espoir.
D’ailleurs, un certain débat divise les rangs de l’opposition. Notamment après qu’une bonne partie de ceux qui avaient appelé au boycott des élections législatives et régionales s’avise aujourd’hui de participer à l’élection présidentielle prévue pour septembre ou octobre 2024. Les opposants aux anciens opposants les accusent d’être des opportunistes. En effet, l’élection présidentielle aura lieu en vertu de la Constitution de 2022 qu’eux tous considéraient comme nulle et avenue puisqu' à leurs yeux, elle est “le fruit du coup d’Etat du 25 juillet 2021”. Et puis ils étaient à l’unisson pour appeler au boycott des quatre tours des élections parlementaires de 2022 et 2023 conçues en vertu des dispositions constitutionnelles. Aujourd’hui pourtant certains d’entre eux cautionnent la participation à l’élection présidentielle prévue selon les mêmes stipulations constitutionnelles.
Alors qui est le véritable comparse et opportuniste au bout du compte ? Les élus hier encore considérés comme comparses et dont on loue aujourd’hui les initiatives ? Ou les purs et durs fervents partisans du boycott hier et qui jouent le jeu aujourd’hui en cautionnant le système tant décrié la veille ?
La politique entre le possible et l’improbable
Ironie de l’histoire. Comme il y a des gens pour qui il n’y a plus que leurs yeux pour pleurer, pour d’autres il n’y a plus que l’élection présidentielle pour exister. D’où ces retournements à 180 degrés, ces volte-face, ces alliances contre nature et ces re-positionnements à l’emporte-pièce.
Quant au Parlement, il s’assume comme tel, d’une manière ou d’une autre. La politique dit-on est l’art du possible. C’est-à-dire aussi de l’improbable. En tout état de cause, les élus de l’hémicycle attestent de leur refus d’assumer le parlement-croupion. Et nous n’en sommes pas encore à mi-mandat tandis que la seconde chambre n’a pas encore été installée.
Le gouvernement assume de son côté les revers de sa politique jugée par certains lente, incomplète, incohérente ou carrément hors de propos. En vérité, nécessite obligé, il s’attelle surtout à traiter les urgences si nombreuses. C’est ce qui transparaît le plus, même s’il y a des projets de réformes en cours. Mais rien n’oblige le chef du gouvernement à ne pas aller les étayer et s’expliquer devant les élus du peuple.
Ce n’est pas une question de clash des égos. Encore moins une question de sensibilités personnelles et de préventions. Après tout, les élus ne sont qu’un pan des différentes institutions de la République. Ce qui importe le plus c’est l’opinion. Et celle-ci n’a jamais fait montre d’autant de patience et de mansuétude qu’à l’égard de l’actuel régime et ce, depuis 2011.
Pour l’instant, l’opinion tunisienne témoigne toujours du discrédit sans appel de l’ancien régime qui a sévi entre 2011 et 2021 et de ses représentants qui continuent à végéter contre l’esprit du temps. Elle croit aussi que le système chapeauté par le Président Kais Saïed incarne le refus de l’ancien régime de la décennie noire. Les affaires de corruption liées à l’ancien régime de la décennie noire et dont la justice est saisie en est une illustration patente et assimilée comme telle par de très larges franges de l’opinion.
Question gouvernement toutefois, il gagnerait à bien mûrir la sentence qui veut que tout délai de grâce a une limite. Et que l’opinion change en vertu des aléas de la conjoncture économique et sociale surtout. C’est-à-dire qu’elle est par essence volatile et non point figée. Les tenants de l’ancien régime l’ont bien découvert à leurs dépens mais ils ne semblent pas l’avoir bien assimilé. Quitte à louvoyer paradoxalement entre la dénonciation du régime du 25 juillet et de ses institutions et le désir de participer à l’élection présidentielle en vertu de ces mêmes institutions.
S.B.F