L’affaire de la banque franco-tunisienne (BFT) a enfin pris fin, après plus de 40 ans de déboires en justice. Une fin plutôt heureuse pour l’Etat tunisien.
En effet, le verdict arbitral rendu par le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) concernant l’affaire de la BFT a été favorable à la Tunisie qui a été sommé de payer 1.162 million de dinars. La partie plaignante demandait pas moins de 37 milliards de dinars.
Le ministre des Domaines de l’État, Mohamed Rekik, s’est félicité du verdict et a expliqué que les plaignants demandaient un dédommagement de la banque entière : « nous avons contredit cette théorie, en expliquant que le dédommagement devrait être à hauteur des actions que possèdent la partie plaignante, plus les intérêts ».
Le CIRDI a adopté la théorie de la Tunisie et l’a condamnée à verser au partie plaignante la somme de 343 mille dinars, plus un intérêt annuel de 7,2% jusqu’au paiement définitif.
Saisie des actifs de la Tunisian Foreign Bank
Le Groupe de droit néerlandais, ABCI Investment, a obtenu, le 2 septembre 2019, la confirmation de la saisie des actifs de la Tunisian Foreign Bank (TF Bank) à Paris, suite à la réclamation faite par ABCI devant le Tribunal arbitral, CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), d’être dédommagé pour l’expropriation de la Banque Franco-Tunisienne (BFT) en 1989.
Etablie à Paris, la TF Bank est détenue par l’Etat tunisien à travers la Société Tunisienne de Banque (STB) et BH Bank.
Le CIRDI a reconnu, en 2017, la responsabilité de l’Etat tunisien dans l’affaire de la BFT et rejeté toutes ses demandes en révision. Le groupe ABCI a proposé un règlement à l’amiable mais le gouvernement a refusé cette issue à maintes reprises.
Mohsen Hassen, expert financier et ancien ministre du Commerce, a précisé qu’en plus du milliard de dollars que coûtera ce verdict à la Tunisie, cette affaire aura des impacts sur l’image et la notation de la Tunisie.
De son côté, le chargé du contentieux de l’Etat, Chedli Rahmani a fait savoir que les informations faisant état d’une amende imposée à l’Etat tunisien à titre de dans l’affaire de la Banque franco-tunisienne (BFT) de 1 milliard de dollars est totalement sans fondement.
Il a précisé que le processus judiciaire dans cette affaire continue jusqu’en 2021, signalant par contre, qu’il y a eu une mise sous séquestre chez la TF Bank à Paris. Mais cette mesure n’est pas applicable car elle n’a aucune base valide et qu’elle contient des vices de formes.
La STB BANK a également publié un communiqué dans lequel elle a annoncé des précisions concernant l’affaire TFB. « Le processus arbitral relatif à cette affaire se poursuivra au minimum jusqu’à 2021, et que le procès à ce stade n’a concerné que le volet se rapportant à la compétence du CIRDI (centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) », peut-on lire dans ledit communiqué.
Et d’ajouter : « Ce conflit est donc, purement et simplement, un conflit entre la BFT et le groupement financier ABCI, la STB BANK n’est en aucun cas partie prenante dans ce conflit La saisie conservatoire effectuée par ABCI Investment, le 28 Août courant par un notaire à Paris entre les mains de la TFB, n’a pas de fondement juridique du fait qu’ABCI ne détient pas un jugement à l’encontre de la STB BANK ».
La TF Bank a aussi publié un communiqué indiquant que les informations relayées concernant cette affaire sont erronées.
La dissolution de la BFT, sans incidence sur la scène financière tunisienne
La Commission de Résolution des Banques et des Établissements Financiers en situation compromise a organisé le 1er mars 2022 une conférence de presse sur la situation de la Banque franco-tunisienne (BFT), et sa dissolution judiciaire.
Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT) et président de la Commission, Marouan Abassi a souligné que la BFT dispose de 5 agences, 72 agents, son capital est à hauteur de 5 millions de dinars et des engagements qui ont atteint 279 millions de dinars. Abassi est revenu sur le conflit entre le groupe ABCI Investments N.V et l’Etat tunisien, une affaire qui refait surface et objet de litige devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements). Le gouverneur de la BCT a indiqué que face à l’impossibilité de régler techniquement cette affaire durant ces dernières décennies en dépit des tentatives de médiation et un long parcours contentieux, la BFT s’est trouvée dans l’impossibilité de retrouver ses équilibres financiers. Il est désormais en état de cessation de paiement. “Il n’est plus possible de la sauver”, a-t-il regretté.
Selon lui, la liquidation de cette banque semble la meilleure alternative pour mettre fin à cet interminable litige et cercle vicieux, rappelant que cette décision sera sans incidences sur le marché financier et monétaire tunisien dans la mesure où sa part de marché ne dépasse pas 0,02% de l’activité bancaire en Tunisie.
“Le Fonds de garantie des dépôts bancaires procèdera à l’indemnisation des clients dans la limite du plafond de 60 mille dinars pour chaque déposant dans un délai ne dépassant pas les 20 jours. Ceux qui ont plus de 60 mille dinars seront les premiers à être remboursés ultérieurement”, a-t-il spécifié.
Pour sa part, le directeur général du Fonds de garantie des dépôts bancaires, Jaâfar Khadech, a confirmé que le Fonds va procéder à l’indemnisation des déposants dans les délais légaux et qu’il veillera sur le bon déroulement du processus d’indemnisation.
S’exprimant sur la situation des agents et cadres de la BFT à l’issue de la liquidation judiciaire de la banque, le président de l’association professionnelle des banques et des établissements financiers, Mohamed Agrebi, a dit que 67 agents seront intégrés dans d’autres banques et que les salaires du mois de mars seront versées abstraction faite de la date d’intégration des fonctionnaires de la banque.
Il a ajouté que 10 banques cotées en bourse vont intégrer 80% des fonctionnaires de la BFT.
Rappelons que la commission de résolution des banques a indiqué qu’elle n’est chargée de statuer sur le dossier d’aucune banque et que le nombre des déposants auprès de la BFT est estimé à 7500, sachant que leurs droits sont garantis par la justice.
Et d’ajouter que la faillite de la BFT ne sera déclarée qu’à la suite de sa liquidation judiciaire.
La BFT en état de mort cérébrale depuis plus de 20 ans
L’analyste financier et président du Cercle des financiers, Abdelkader Boudriga, a dit que la Banque Franco-Tunisienne est la première banque déclarée en faillite de la sorte dans l’histoire de la Tunisie, quoique que cela soit attendu en tenant compte des difficultés que traverse la banque. Une banque déjà en état de mort cérébrale depuis une vingtaine d’années.
D’après lui, toutes les banques publiques sont passées par des difficultés à la fin des années 90 et que l’Etat a lancé plusieurs réformes en collaboration avec la BCT, en mettant fin à la dichotomie banque de développement et banque commerciale, soulignant que la BFT traversait depuis de très longues années des difficultés au niveau de sa gestion.
De même, la situation politique n’était pas propice pour déclarer la faillite de la banque. En outre, la Banque n’a pas évolué durant ces années et que ces fonctionnaires ambitionnent également de le quitter.
Le coût de redressement de la banque et les tentatives de son sauvetage étaient très exorbitants et la plainte déposée par l’un des actionnaires a compliqué davantage la situation de sorte qu’il est désormais impossible de tenter de le sauver.
“ Bien qu’elle soit tardive, l’annonce de la faillite de la BFT est une bonne décision”, a-t-il noté.
Encore du chemin à parcourir
Contrairement à ce qu’on peut croire, l’affaire BFT n’a pas pris fin avec la sentence du CIRDI. Le règlement du tribunal arbitral faisant partie du groupe de la Banque mondiale prévoit deux cas de figure.
En effet, la sentence du CIRDI concerne le volet financier, à savoir l'indemnisation que l'Etat tunisien va devoir verser à la société ABCI Investments Limited.
D'après l'article 62 du règlement du CIRDI, les parties peuvent consentir à la publication du texte intégral ou d'une version conjointement caviardée des documents visés au paragraphe. Le consentement à la publication des documents visés au paragraphe est réputé avoir été donné si aucune partie n'a soulevé par écrit d'objection à une telle publication dans les 60 jours suivant l'envoi du document.
A défaut du consentement des parties, le Centre publie des extraits de "toute sentence, décision supplémentaire d'une sentence, rectification, interprétation et révision d'une sentence, et toute décision sur l'annulation".
L'une ou l'autre partie peut introduire une demande d'interprétation, de révision ou d'annulation d'une sentence.
Demande d'interprétation
Ce recours doit mentionner "toute question sur laquelle la partie requérante estime que le Tribunal a omis de se prononcer dans sa sentence et toutes erreurs dans la sentence dont la partie requérante demande la correction".
La requête est rejetée si elle est soumise après le délai de 45 jours et la partie requérante en est informée immédiatement.
Le secrétaire général du CIRDi est sommé d’enregistrer la requête, informer les deux parties et transmettre à la deuxième partie une copie de la requête et de tout document joint.
Une fois réuni, le Tribunal fixe un délai pour la présentation des observations des parties concernant la requête et détermine la procédure à suivre pour son examen.
Demande de révision ou d’annulation
En cas de révision de la sentence, la demande doit comporter la modification souhaitée dans la sentence, le fait nouveau découvert et qu’il ait été inconnu du Tribunal et de la partie requérante avant le prononcé de la sentence.
Le délai accordé pour l'introduction d'une requête en révision est de 90 jours à partir de la découverte d'un fait de nature à exercer une influence décisive sur la sentence. La date butoir intervient à trois ans depuis le prononcé de la sentence.
Pour ce qui est de la demande en annulation, elle ne peut être acceptée qu’en cas de vice dans la constitution du Tribunal, excès de pouvoir manifeste du Tribunal, corruption d'un membre du Tribunal, inobservation grave d'une règle fondamentale de procédure et défaut de motifs, et ce dans un délai de 120 jours à partir de la découverte de l'un de ces éléments.
Selon l'article 52 du règlement du CIRDI, son secrétaire général doit appeler immédiatement le président du conseil administratif à procéder à la nomination d'un Comité, suite à l’enregistrement de la demande en annulation d'une sentence.
Si le Comité annule la sentence en totalité ou en partie, l'une ou l'autre des parties peut déposer auprès du Secrétaire général une requête pour soumettre le différend à un nouveau Tribunal. La requête doit être justifiée.
En cas d’annulation partiale de la sentence initiale, le nouveau Tribunal ne réexamine aucune partie de la sentence qui n'a pas été annulée.