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La chronique de Soufiane Ben Farhat: Israël accusé de génocide à Gaza, L’arrêt historique mais imparfait de la CIJ

     La CIJ est au rendez-vous de la grande histoire mais à la manière des équilibristes des cirques dans leurs exercices contorsionnistes.

 Autant le dire d’emblée, bien que historique, l’arrêt de la Cour Internationale de Justice (CIJ) du 26 janvier 2024 contre Israël accusé de génocide à Gaza est imparfait. Mi-figue mi-raisin en quelque sorte. Et pour cause.

Une fois n’est pas coutume, Amnesty International s’est prononcée hier sans ambiguïté là-dessus. Sa secrétaire générale Agnès Callamard est allée droit au but : “Un cessez-le-feu immédiat par toutes les parties demeure essentiel et, bien que la Cour ne l’ait pas ordonné, il reste la condition première pour appliquer les mesures conservatoires et mettre fin à la grande souffrance des civils”.

Résumons. La CIJ est au rendez-vous de la grande histoire mais à la manière des équilibristes des cirques dans leurs exercices contorsionnistes.

La plus haute juridiction de l'ONU a ainsi appelé Israël à faire tout son possible pour “empêcher tout acte de génocide" dans la bande de Gaza et à laisser entrer l’aide humanitaire. Une injonction ? Que non. En matière de doctrine juridique on qualifie cela de jugement invitatif et non point forcément obligatoire. Israël est dès lors appelé à s’abstenir de tout éventuel acte génocidaire. Paradoxalement, toutes les ordonnances et tous les arrêts de la CIJ sont juridiquement contraignants. Mais ici on appelle à faire tout son possible, on appelle à s’abstenir de…etc

L’arrêt de la CIJ a ordonné cependant des mesures conservatoires. Israël doit entre autres s’abstenir de commettre des actes entrant dans le champ d’application de la Convention sur le génocide, prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide et prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza. En outre, la Cour a ordonné à Israël de conserver les preuves liées à l’accusation de génocide et de présenter un rapport à la Cour d’ici un mois, sur toutes les mesures prises conformément à cette ordonnance.

En d’autres termes, la CIJ établit le risque génocidaire à Gaza. Elle invite plutôt qu’elle ordonne à Benjamin Netanyahu et à sa soldatesque d’arrêter les massacres et d’acheminer sans délai l’aide humanitaire en Palestine occupée.

Génocide vérifié mais implicitement reconnu du bout des lèvres

Dans Le Cid de Corneille, Chimène dit à Rodrigue  : “Va, je ne te hais point”. Parmi les figures de style, on appelle ça une litote. En fait, Chimène avoue à Rodrigue qu’elle l’aime encore, bien qu’il ait tué son père ! Oui, me diriez-vous, mais qui est Chimène et qui est Rodrigue dans le cas de l’espèce ? La CIJ maintient le flou. Et le flou alimente les loups.

De fait, la CIJ se prononce mais ne synthétise pas assez clairement ses sentences. Pourtant, dans son arrêt, la Cour de la Haye a bien vérifié et reconnu quatre critères constituant le génocide à Gaza : Le meurtre des civils à large échelle, l’atteinte grave et caractérisée à l’intégrité physique ou mentale des victimes, la soumission à des conditions d'existence susceptibles d'entraîner la destruction totale ou partielle et l’entrave des naissances. Cependant, la Cour n’ose pas donner l’adjectif adéquat à ses qualificatifs patentés. Elle reconnaît toutefois les "droits des Palestiniens de Gaza d'être protégés contre les actes de génocide". Oui mais sans un cessez-le-feu immédiat le génocide se poursuit. Et ce qui est abusivement qualifié de risque génocidaire est en fait un génocide avéré.

C’est dire aussi la féroce bataille dans les coulisses de la CIJ. Américains, Israéliens et Occidentaux en prime ont voulu tout bonnement faire dessaisir la Cour de l’affaire pour deux motifs à leurs yeux. En premier lieu, l’incompétence de la Cour et en second lieu l’absence de la qualité pour agir de l’Afrique du Sud qui a enrôlé l’affaire devant la CIJ contre Israël pour génocide. Or, la Cour a répondu clairement là-dessus cette fois. Elle est compétente de sa propre compétence au regard du droit international public. Elle décide de la recevabilité ou de la non recevabilité d’une affaire en vertu de ses statuts et non point en fonction d’un autre organe qui juge de sa compétence. Son arrêt est explicite : “À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide pour connaître de l’affaire et que, en conséquence, elle ne peut accéder à la demande d’Israël tendant à ce qu’elle raye l’affaire de son rôle.”

Idem pour le grief israélien contestant la qualité pour agir de l’Afrique du Sud Elle rappelle que “tous les États parties à la convention sur le génocide ont, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni. Il s’ensuit que tout État partie à la convention sur le génocide peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie, notamment par l’introduction d’une instance devant la Cour, en vue de faire constater le manquement allégué de ce dernier à des obligations erga omnes partes lui incombant au titre de la convention et d’y mettre fin.

La Cour conclut, prima facie, que l’Afrique du Sud a qualité pour lui soumettre le différend qui l’oppose à Israël concernant des violations alléguées d’obligations prévues par la convention sur le génocide.” 

Un pas en avant malgré tout

Pour décider des mesures conservatoires réclamées par l’Afrique du Sud, la CIJ a rappelé les évidences. La Cour considère en effet que la population civile de la bande de Gaza demeure extrêmement vulnérable. Elle rappelle que “l’opération militaire conduite par Israël après le 7 octobre 2023 a notamment fait des dizaines de milliers de morts et de blessés et causé la destruction d’habitations, d’écoles, d’installations médicales et d’autres infrastructures vitales, ainsi que des déplacements massifs de population. Elle note que cette opération est toujours en cours et que le premier ministre d’Israël a annoncé, le 18 janvier 2024, que la guerre « durera encore de longs mois ». Aujourd’hui, de nombreux Palestiniens de la bande de Gaza n’ont pas accès aux denrées alimentaires de première nécessité, à l’eau potable, à l’électricité, aux médicaments essentiels ou au chauffage. L’Organisation mondiale de la Santé a estimé que 15 % des femmes qui accouchent dans la bande de Gaza étaient susceptibles de souffrir de complications, et prévoyait une augmentation des taux de mortalité maternelle et néonatale en raison du manque d’accès aux soins médicaux. Dans ces circonstances, la Cour considère que la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza risque fort de se détériorer encore avant qu’elle rende son arrêt définitif.”

Le diagnostic de la Cour est clair. Il lui manque cependant le qualificatif adéquat. Cela tient en huit lettres G.É.N.O.C.I.D.E

Sur le terrain, on dénombre plus de 26.000 civils Palestiniens tués dans les bombardements israéliens sur Gaza, et 10.000 personnes seraient toujours portées disparues sous les décombres. Au moins 1,8 million de personnes sont déplacées à l’intérieur du territoire et privées d’accès à une nourriture suffisante, à l’eau, à un abri, aux installations sanitaires et à l’assistance médicale.

La France franchira-t-elle le Rubicond ?

L’Afrique du Sud, le Hamas et les Palestiniens en général ont applaudi l’arrêt de la CIJ. Israël l’a dénoncé en bonne et due forme et refuse de s’y conformer.

Pour la secrétaire générale d’Amnesty International “L’enjeu est de taille : les mesures conservatoires de la CIJ indiquent que, de l’avis de la Cour, la survie des Palestinien·ne·s à Gaza est en péril. Le gouvernement israélien doit se conformer à cette décision de la CIJ sans délai. Tous les États, y compris ceux qui ont critiqué le dépôt de plainte pour génocide de l’Afrique du Sud ou s’y sont opposés, ont clairement le devoir de veiller à l’application de ces mesures. Les dirigeants des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et d’autres États membres de l’UE doivent manifester leur respect de la décision juridiquement contraignante de la Cour et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’acquitter de leur obligation de prévenir le génocide. Dans le cas contraire, cela sapera fortement la crédibilité et la confiance dans l’ordre juridique international.”

Ah tiens, la crédibilité et la confiance dans l’ordre juridique international, on s’en soucie maintenant. Des décennies durant, on s’en est moqué comme d’une guigne. Bon réveil la compagnie. Mieux vaut tard que jamais.

La première bataille est prévue à New York, au Conseil de sécurité. Il lui incombe de veiller aux mesures décidées par la Cour Internationale de Justice. La France préside le Conseil cette session et a un impérieux devoir d'appeler à une séance pour réagir à cette décision.

Le fera-t-elle ? Pour l’instant j’en doute fort. A preuve, le président français Emmanuel Macron a promulgué hier depuis New Delhi où il est en déplacement la loi immigration dont 35 articles ont pourtant été dénoncés par le Conseil constitutionnel français. La droite ainsi que les macronistes accusent le Conseil constitutionnel d’avoir commis un “coup d’Etat de droit” ! La loi a été publiée au Journal officiel ce 27 janvier, et les premières instructions d’application ont déjà été présentées aux préfets.

Je le disais bien, le flou alimente les loups…

S.B.F

 

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