Les brigades anti-drogue de la Garde nationale viennent de réussir ce que l’on peut appeler une belle prise: plus d’un million de comprimés d’ecstasy, une drogue de synthèse au pouvoir hautement addictif, ont été saisis dans le gouvernorat de Nabeul. Il s’agit, d’après les autorités, de la plus grande prise jamais réalisée dans notre pays. Un record synonyme d’une prouesse sécuritaire, mais qui donne en même temps froid dans le dos. Le démantèlement du réseau de narcotrafiquants d’une envergure internationale opérant en Tunisie, qui n’est plus un pays de transit mais bel et bien un marché de consommation très juteux à cause d’une demande croissante. Il nous attend un avenir cauchemardesque quand on voit la prolifération de drogues qui cible, en priorité, ce que nous avons de plus précieux, notre jeunesse. La quantité d’ecstasy saisie qu’un réseau parfaitement rodé de dealers était en effet prêt à faire écouler dans le milieu scolaire, d’après ce qu’on a pu apprendre de la direction générale de la Garde nationale, donne le tournis.
L’opération a nécessité plusieurs mois d’enquête et a permis de démanteler un réseau international opérant entre la Tunisie et d’autres pays. Cela révèle l’ampleur du phénomène, qui ne se limite plus à quelques délinquants isolés. Il s’agit d’organisations structurées, puissantes, qui profitent des failles de notre système sécuritaire, judiciaire, mais aussi social et éducatif. Si cette saisie est la plus grande jamais réalisée en Tunisie, elle ne représente peut-être que la partie émergée de l’iceberg. En matière de drogue, un principe est bien connu des spécialistes: les quantités saisies ne sont qu’un infime pourcentage de ce qui circule réellement. Ce million de comprimés n’est donc peut-être qu’un échantillon de ce qui inonde déjà nos rues, nos quartiers, nos écoles.
La liste des drogues disponibles s’allonge chaque jour: cannabis, cocaïne, héroïne, ecstasy, drogues de synthèse aux noms exotiques ou inquiétants. Et si toutes les classes sociales sont concernées, ce sont les adolescents qui en deviennent les principales cibles. Ils sont vulnérables, influençables, parfois en quête de repères dans une société en crise. Les trafiquants l’ont bien compris. Ils font des établissements éducatifs, véritables maillons faibles, leur terrain de prédation. Les spécialistes, qui constatent que de plus en plus de jeunes sont aujourd’hui victimes d’addiction en Tunisie, n’ont pas cessé d’alerter sur un fléau qui ravage la société. La réponse sécuritaire est essentielle mais insuffisante sans des politiques de prévention et des programmes de prise en charge efficaces. Le président de la République, Kaïs Saïed, a appelé à plusieurs reprises à intensifier les efforts sécuritaires pour enrayer ce phénomène. Mais il faut aller plus loin. Car la répression seule ne suffira pas. Ce combat ne peut être gagné que par une approche globale, qui combine prévention, éducation, accompagnement thérapeutique et réinsertion.
Le tableau est déjà très sombre, celui qu’avaient dressé les études menées ces dernières années. Près d’un quart des lycéens tunisiens âgés de 15 à 17 ans déclarent, en effet, avoir déjà consommé une substance psychoactive. Des chiffres glaçants qui en disent long sur l’ampleur du fléau dans notre société. La drogue est désormais installée dans notre quotidien, banalisée, parfois même acceptée ou ignorée.
Face à ce constat, la société tout entière doit se mobiliser. Les familles doivent parler, écouter, comprendre. L’école doit redevenir un lieu sûr, protégé, encadré. L’État doit agir et investir dans des programmes de prise en charge efficaces, durables et adaptés à la nouvelle réalité. Si nous continuons à fermer les yeux, à n’agir qu’après coup, nous risquons de perdre une génération. Et avec elle tout l’avenir de la Tunisie.
H. G.