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Soixante-douze heures qui ébranlèrent l’échiquier politique français, par Soufiane Ben Farhat

Spectaculaire retournement de situation à l’issue du second tour des élections législatives d’hier en France. La gauche arrive en tête du scrutin et relègue l’extrême-droite du Rassemblement national (RN) en troisième position. Elle dispose désormais de la majorité relative à l'Assemblée et présidera le plus vraisemblablement le nouveau gouvernement. Pourtant, tous les pronostics prévoyaient la forte majorité relative au RN.

Arriver à endiguer l’extrême-droite de cette manière et se mettre en pôle position des partis de la place n’est guère aisé. Qu’on en juge : lors des élections législatives de 2022, quatre millions deux cent mille lecteurs avaient voté en faveur du RN et plus de dix millions d’électeurs avaient choisi les candidats de RN lors du premier tour du 30 juin 2024.

La stratégie de la gauche dès le lendemain des élections européennes a été payante à plus d’un titre. En premier lieu, elle a abandonné ses velléités solipsistes habituelles. Depuis fort longtemps, pour une fois, la France insoumise, le Parti socialiste, les Écologistes et le Parti communiste se sont hâtivement réunis en une seule formation électorale, le Nouveau Front Populaire (NFP). Les candidatures du NFP vont de l'irrésolu anticapitaliste Philippe Poutou à l’ex-président de la République François Hollande, jugé jusque-là mou, mais réélu député.

 

Le Front antifasciste

La gauche avait sonné le branle-bas de combat le lendemain immédiat de la proclamation des résultats des élections européennes ayant consacré le triomphe du RN. Elle a tenu hâtivement ses quartiers généraux et en est arrivée à lancer sa nouvelle formation unitaire à l’issue de soixante-douze heures d’âpres échanges et débats. Comptant en son sein des personnalités clivantes et des forts en thème, cela n’a pas été une mince affaire. Tous les partenaires, à commencer par le légendaire et fort controversé Jean-Luc Mélenchon, ont dû mettre de l’eau dans leur vin. Ce faisant, ils ont puisé dans la longue histoire de la gauche française qui prône en certaines circonstances le Front antifasciste avec tous les accords et servitudes que cela implique. Les concessions sur les sujets qui habituellement fâchent y sont de mise. La voix de la raison et du pragmatisme fonctionnel l’y emporte. A preuve, ils ont adopté une dénomination si chère à tous les gens de gauche, le Nouveau Front Populaire, en référence au grand Léon Blum. Celui-ci a été une grande figure du socialisme français, président du Conseil de juin 1936 à juin 1937 et de mars à avril 1938 puis président du Gouvernement provisoire de la République française de décembre 1946 à janvier 1947. Dans l’imaginaire populaire français, Léon Blum rappelle les indéniables acquis sociaux en faveur des plus démunis et de la classe moyenne.

 

Le Front républicain

Même si la droite française a de fortes velléités en faveur de l’extrême-droite, la gauche du NFP a prôné mordicus le Front républicain moyennant des consignes de vote utile et des désistements au second tour. Elle a délaissé un certain sectarisme qui la caractérisait pour s’adresser au Français moyen, le citoyen lambda pressuré par les vicissitudes d’un quotidien de plus en plus oppressant et angoissé par des perspectives politiques sombres.

Cela a porté ses fruits. Parce que la politique, ce sont aussi ces séquences historiques courtes qui imprègnent sur le long terme, voire toute une époque.

Qu’on se souvienne. Le journaliste américain John Reed avait publié en 1919 un livre racontant la prise du pouvoir en Russie par les Bolcheviks sous la direction de Lénine. Il l’avait intitulé “Dix jours qui ébranlèrent le monde”.

On peut légitimement le paraphraser en disant de la nouvelle stratégie de la gauche française à l’issue des élections européennes : “Soixante-douze heures qui ébranlèrent l’échiquier politique français”.

L’histoire retiendra ce revirement spectaculaire qui a défié tous les pronostics et toute la machine des médias et des instituts de sondage français qui ont travaillé d’arrache-pied en faveur de la supposée déferlante de l’extrême-droite française du RN. Même la majorité présidentielle autour d’Emmanuel Macron s’était enrôlée dans cette machination démentielle au profit du RN. Parce qu’à leurs yeux, le plus grand danger c’est la gauche et l’extrême-droite est une composante intégrante et intime de la droite.

 

L’échec cuisant d’Emmanuel Macron

En entreprenant la dissolution de l’Assemblée nationale à l’issue des élections européennes, Emmanuel Macron a fait un pari insensé. Il croyait ce faisant tendre la perche au RN et s’assurer une cohabitation avec sa supposée majorité parlementaire et son gouvernement obligé. Une affaire de famille de droite en quelque sorte.

En premier lieu, il a sous-estimé la capacité de la gauche à se réinventer en très peu de temps. En second lieu, il a mal jugé le ban et l’arrière-ban de ses troupes. Le Palais-Bourbon comptait 351 députés macronistes en 2017. Ils s’étaient rabaissés à 250 en 2022 et ils ne sont plus que 150 à l’issue du second tour des législatives. Un véritable camouflet politique pour un président de la République sous l’emprise du capitalisme financier et des grands lobbys bancaires.

Moralité de l’histoire, comme disait Guy Bedos, “la gauche et au centre, le centre est à droite et la droite est à l’extrême”.

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