Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
Plus de vingt-trois milliards de dinars circulent actuellement entre les mains des Tunisiens. Comment expliquer cette explosion de l’usage du liquide et quel est l’impact de ce fléau sur l’économie?
C’est le spécialiste des affaires bancaires, Sofiane Ouerimi, qui l’a révélé récemment: «La masse monétaire en circulation connaît une croissance annuelle stable de 9 à 10%. Toutefois, l’atteinte du seuil des 23 milliards de dinars entre le 31 décembre 2024 et le 25 février 2025 représente un phénomène inédit, avec une tendance à la hausse qui pourrait perdurer, notamment lors des périodes festives et événementielles où l’usage de l’argent liquide augmente». Selon le spécialiste, la nouvelle loi relative aux chèques et la dépénalisation du délit de l’émission des chèques sans provision dont le montant ne dépasse pas les 5000 DT est l’une des raisons qui explique cette tendance. «Même si la nouvelle loi relative aux chèques est à l’origine de la hausse de la masse monétaire, l’absence de la culture du paiement électronique et l’usage de la carte bancaire sont également deux facteurs qui expliquent cette tendance», nous dira l’autre expert en économie et en finances, Mohamed Salah Jennadi. Et d’ajouter: «Les chiffres montrent que l’utilisation des cartes bancaires reste au-dessous des attentes. Selon, en effet, le bulletin «Les paiements en chiffres en Tunisie» publié par la Banque centrale de Tunisie (BCT), le nombre total de transactions par carte bancaire a atteint 163 millions en 2024, générant un montant global de 27,8 milliards de dinars. C’est peu et il faut créer une dynamique autour de l’usage de la carte bancaire et le paiement en ligne en général. Le cas échéant, l’usage excessif du cash aura un impact négatif comme le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale». Que faire, alors, pour renverser cette tendance?
Baisser les frais …
Aujourd’hui, tous les experts s’accordent à dire que le cash n’a plus de raison d’être. Pour l’expert en économie et en finances, Mohamed Salah Jennadi: «A mon avis, le principal mal de l’économie tunisienne est l’argent en liquide qui encourage les fraudes. Dans un article paru anonymement le 23 août 2015 et intitulé «Pour en finir avec une autre relique barbare», le Financial Times a publié un long plaidoyer laissant à considérer que les problèmes économiques actuellement seraient la conséquence de la thésaurisation d’argent liquide par les ménages. Le journal suggère de forcer les ménages à dépenser plutôt que d’épargner en donnant aux banques centrales le pouvoir d’imposer des taux d’intérêt négatifs. Bien entendu, une telle politique est impossible si les citoyens conservent la liberté de convertir leur épargne bancaire en argent liquide. La solution consiste donc purement et simplement à interdire le cash. Cet article s’inscrit dans une longue suite d’interventions d’économistes et de politiques allant dans le même sens. Ainsi, dans un autre article du Financial Times, l’économiste américain Kenneth Rogoff vante l’économie du zéro cash («Paper money is unfit for a world of high crime and low inflation»). Cette idée est présentée comme le moyen de relancer la croissance dans une économie où les taux d’intérêt sont – et devraient rester encore longtemps – à zéro ou proches de zéro. Outre les avantages économiques en termes de relance, les adversaires du cash mettent en avant les risques de transport de billets, le coût de l’argent liquide pour les banques qui doivent renouveler les billets et les pièces, le transfert de fond et l’alimentation des banques et des distributeurs. Mais plus pernicieux est l’argument moral avancé: l’utilisation du cash équivaut à du travail au noir, à l’évasion fiscale, c’est ce que nous dit l’expert en droit bancaire, Hubert de Vauplane dans un article publié sur le site RB». Pour notre expert, il faut, alors, baisser les frais relatifs à l’utilisation des cartes bancaires et démocratiser le paiement en ligne.
M.B.S.M.