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Editorial : S’attaquer sérieusement à la fraude fiscale - Par Hassan GHEDIRI

La Brigade des investigations et de la lutte contre l’évasion fiscale (BILEF), nouveau bras armé du ministère des Finances depuis 2017, vient de frapper fort dans la zone huppée du Lac 2 à Tunis. Ce quartier prisé, souvent associé au prestige et au luxe, cache pourtant un visage bien moins reluisant : celui d’une fraude fiscale massive, maquillée derrière les vitrines reluisantes de ses cafés et restaurants. L’opération du week-end dernier a permis de lever le voile sur des pratiques illicites qui auraient coûté au Trésor public plusieurs dizaines de millions de dinars. Ce chiffre, aussi alarmant soit-il, ne surprend guère dans un pays où l’évasion fiscale est devenue un sport national.

Mais au-delà du coup d’éclat, cette opération pose une question plus large, presque existentielle pour la Tunisie: va-t-on enfin s’attaquer sérieusement à la fraude fiscale? Ou ce coup de filet n’est-il qu’une parenthèse dans une lutte inégale, menée par une administration sous-équipée et souvent démotivée?

Il faut être honnête: l’administration fiscale tunisienne souffre d’une image déplorable. Elle est perçue, à tort ou à raison, comme une machine qui s’acharne sur les petits contribuables, les artisans, les salariés, les commerçants ordinaires, pendant que les gros fraudeurs, bien conseillés, bien connectés et bien protégés, évoluent en toute impunité. Ce déséquilibre a été documenté à maintes reprises, notamment dans les rapports accablants de la Cour des comptes, qui pointent une capacité de contrôle insuffisante face à une fraude de plus en plus sophistiquée, dématérialisée et transfrontalière.

Moins de 10% des entreprises sont soumises à un contrôle fiscal chaque année. Ce chiffre à lui seul résume l’ampleur du problème. Comment espérer dissuader les fraudeurs dans un tel contexte? Comment espérer faire régner la justice fiscale si la probabilité d’être contrôlé est aussi faible?

Lutter efficacement contre l’évasion fiscale exige plus qu’un coup de filet médiatisé. Cela passe d’abord par un renforcement structurel des moyens humains et matériels. La Tunisie compte 1600 contrôleurs fiscaux, dont 400 ne sont pas opérationnels sur le terrain. Avec 1200 agents actifs seulement, il est impossible de couvrir l’ensemble du tissu économique. Il faut non seulement recruter, mais aussi former, équiper et surtout mieux rémunérer ces professionnels pour les protéger de la corruption, car, comme le dit l’adage, «la tentation est grande».

Il faut aussi moderniser la législation, adapter les outils de contrôle à la digitalisation croissante de l’économie, et surtout mettre en place des mécanismes de transparence et de reddition des comptes. Car la lutte contre la fraude fiscale ne peut se faire sans la confiance du citoyen. Or cette confiance est fragile, surtout lorsque l’on voit à quel point les ressources fiscales manquent là où elles sont le plus nécessaires.

L’évasion fiscale en Tunisie est estimée à plusieurs milliards de dinars par an. Ces sommes, si elles étaient récupérées, pourraient transformer radicalement le visage du pays. Une enveloppe de 500 millions de dinars investie chaque année dans des régions comme Gafsa, Kasserine ou Sidi Bouzid pourrait relancer l’économie locale, améliorer les infrastructures, les services de santé et d’éducation, créer des emplois et, surtout, redonner espoir à une jeunesse souvent oubliée.

La BILEF vient de prouver qu’il est possible d’agir. Reste à savoir si cette initiative sera suivie d’une stratégie nationale ambitieuse et durable, ou si elle restera un feu de paille. La Tunisie n’a plus le luxe d’attendre. Ce n’est pas seulement une question de finances publiques, mais de justice sociale, de stabilité et d’avenir.

H.G.

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