Par Hassan GHEDIRI
Dénoncé par plusieurs députés depuis son inscription à l’ordre du jour des assemblées, le projet de loi relatif à un financement de 80 millions d’euros accordé par l’Agence française de développement n’a finalement pas été validé.
Cela avait l’air d’une surprise bien que dans une certaine mesure, l’on s’attendait à ce que le vote soit très serré. Un projet de loi initié par la présidence de la République qui ne passe pas devant le parlement faute de majorité de voix requise, cela ne relève point de l’ordinaire. Lundi, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a rejeté le projet de loi n°85/2024 portant approbation d’un accord de prêt signé le 25 juin 2024 entre la république tunisienne et l’Agence française de développement (AFD). Ce prêt de 80 millions d’euros, soit environ 268 millions de dinars tunisiens, est censé soutenir les petites et moyennes entreprises (PME) dans le cadre des politiques de relance économique. En fin de compte, le texte n’a pu passer avec seulement 48 voix pour et 31 contre et 13 abstentions.
Le projet de loi, qui a été pourtant défendu par le ministre chargé de l’Economie et de la Planification, vise à fournir aux banques et autres institutions de crédits les ressources financières nécessaires pour assurer un meilleur accompagnement des PME dans le but de renforcer l’inclusion sociale et le développement régional grâce à des projets intégrés dans l’économie verte. Lors du débat, des députés ont exprimé leur mécontentement à l’égard de la politique d’endettement adoptée par l’Etat pointant du doigt la contradiction entre la volonté de l’Etat de compter sur ses propres ressources dans le cadre de la politique du «compter sur soi» initiée par la présidence de la République et le recours excessif aux financements extérieurs. Depuis quelque temps, les réactions à l’égard des projets de prêts examinés et adoptés par l’ARP mettent en évidence les divergences profondes entre les députés.
Le rejet du financement de l’AFD intervient alors que la Tunisie multiplie les recours aux financements extérieurs, un choix qui ne fait pas l’unanimité des spécialistes. Tandis que certains estiment que ces emprunts sont indispensables pour accélérer la relance de l’économie, d’autres y voient une menace à la souveraineté financière du pays. Le rejet de ce financement pourrait paraître symbolique, mais il risque d’avoir un impact structurel sur le tissu entrepreneurial tunisien. En Tunisie, les PME représentent plus de 90% du tissu économique, contribuent à environ 40% de la valeur ajoutée nationale, assurent plus de 56% de l’emploi total et génèrent près de 35% des exportations selon les dernières statistiques de l’INS et de la BCT.
Dans un contexte de croissance atone et de pressions financières accrues, ces entreprises jouent un rôle crucial dans la stabilisation sociale et économique du pays. L’accès au financement demeure néanmoins une entrave majeure à l’expansion des PME qui ne contribuent pas efficacement à la création d’emplois et à l’absorption du chômage. Selon une étude de la Banque mondiale, près de 70% des PME tunisiennes déclarent ne pas avoir accès à un financement bancaire adéquat, en raison notamment des conditions de garanties jugées excessives ou d’un environnement perçu comme peu favorable à l’investissement.
Face à une situation budgétaire extrêmement contraignante, avec un déficit public structurel et une dette dépassant 80% du PIB, l’État tunisien ne dispose pas de ressources nécessaires pour financer lui-même la relance du secteur privé. Le financement extérieur, lorsqu’il est ciblé, transparent et adossé à des projets de développement productif constitue en effet un levier indispensable.
H.G.