contactez-nous au 71 331 000
Abonnement

Ces vieux démons obscurs de la France, par Soufiane Ben Farhat

Le second tour des élections législatives françaises de ce dimanche sera crucial. Il permettra de savoir si la France sombrera totalement ou si elle ne sombrera qu’à moitié. Parce que, dans tous les cas de figure, la France ressemble à un bateau à la dérive, une sorte de Titanic en passe de heurter l’iceberg qui le fera couler.

Ne nous faisons pas d’illusions. La France passe par un de ses bien ténébreux moments historiques cycliques. On avait qualifié la Quatrième République de République des crises. Rien qu’entre 1947 et 1958, vingt et un gouvernements s’y sont succédé, soit vingt crises ministérielles en onze ans. Cette crise répétitive avait installé la nation française “dans l’attente” aux dires de l’historien Jean-Pierre Rioux “pendant 348 jours de 1946 à 1958”.

Pourtant, à la Libération en 1945, on avait escompté doter l’Etat français de dispositifs institutionnels à même d’en garantir la pérennité et l’efficacité. A l’initiative de Michel Debré, on avait créé l’Ecole nationale d’administration (ENA).

L’atmosphère était auparavant viciée moyennant le discrédit des grands corps et le scepticisme des parlementaires surtout. En promulguant l’ordonnance de création de l’ENA, le 9 octobre 1945, le général de Gaulle obéissait à une double exigence : efficacité et meilleure formation aux besoins de l’Etat d’un côté, souci de légitimité via un recrutement démocratisé soustrait aux corporatismes de l’autre. Cela n’empêcha pas la Quatrième République de sombrer.

 

Tête-à-queue historique

Avec la Cinquième République, il y a bien une continuité institutionnelle depuis 66 ans, avec des hauts et des bas. Seulement, les dernières élections sapent les fondements mêmes des valeurs cardinales et fondamentales de la République française. Depuis qu’elle existe, jamais un parti populiste d’extrême-droite n’y a obtenu près de 34% des suffrages, seulement au premier tour. Par ailleurs, ce même parti menace d’obtenir soit la majorité absolue des sièges parlementaires, et donc du gouvernement dans son intégralité, soit une très forte majorité relative qui en fera dans tous les cas de figure l’écrasante majorité du gouvernement. Et, dans les deux cas, ce même parti d’extrême-droite s’emparerait aisément de la présidence de la République lors des élections de 2027, sinon bien avant.

Eh quoi donc ! La France de Clemenceau, de Jaurès, de Gaulle et Mitterrand serait phagocytée par la peste brune ? Incroyable non ? La France prétendument des lumières rejoindrait la cohorte des Etats falots, racistes et voyous ? Quelle tête-à-queue historique pardine.

En fait, par les temps qui courent, tout est possible. On en voit tellement de ces monumentales bizarreries un peu partout dans le monde. Et cela a lieu au cœur des pays dits “de vieille souche démocratique” et “civilisés”. Il n’y a qu’à regarder les États-Unis d'Amérique où l’élection présidentielle se réduit à un choix aberrant entre un sénescent en perte de discernement et de lucidité le plus clair du temps et un chantre du néo-fascisme à visage humain. Et après, tout ce beau monde vient faire la leçon aux pays du Sud global surtout sur les vertus universelles de la démocratie occidentale et de la bonne gouvernance nord-atlantique.

 

Le dernier des grands présidents

En France, comme partout, la crise économique endémique s’est doublée d’une crise institutionnelle irréversible. La gestion Macron aura été celle qui scelle pour longtemps le déclin politique de la France. Elle se recoupe avec l’absence d’hommes d’envergure et de timoniers au sommet de l’Etat depuis la fin de second mandat de Chirac en 2007.

Et pourtant, tout au long du 20e siècle, la France a connu tant d’hommes illustres à la barre. Georges Clemenceau, Jean Jaurès, Léon Blum, Charles de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac. Sept hommes illustres en 90 ans, soit en moyenne un grand chef tous les treize à quinze ans. Depuis, c’est le désert politique.

Souvenons-nous de ce qu’avait dit François Mitterrand : “Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura que des financiers et des comptables” avait-il confié dans ses derniers mois à l’un de ses confidents.

Mitterrand avait somme toute raison. Qu’on en juge. Les faits sont têtus. Les hommes obscurs ou obtus imprègnent les institutions de leur obscurité ou de leur obtusité. Point barre. Les institutions ne sont pas dans le vent, elles sont incarnées.

 

La gueule de bois

Les Français se réveilleront incessamment avec une sacrée gueule de bois. On se réveille toujours tard dans ce genre de situations. Et puis qui joue avec le feu en supporte les brûlures. Certes, la France se redressera au bout du compte, mais à la manière d’un vieux grabataire dont le coma a légué de très sérieuses et irréversibles lésions motrices et mentales. Elle en pâtira longtemps encore, intérieurement et dans le concert des nations.

La prétention universaliste de la France -l’un des aspects résiduels corollaires de l’impérialisme français depuis Napoléon Bonaparte- ne sera plus de mise. Les temps changent, les mœurs aussi, celles des nations en prime.

Certes, le Nouveau Front Populaire s’est attelé déjà à limiter les dégâts. Mais, bâti hâtivement en 72 heures à l’issue des élections européennes d’il y a un mois, il en est encore à ses premiers balbutiements. Il est cependant deuxième en nombre de députés devançant largement la coalition de la majorité présidentielle. Cela lui permettra d’avoir une très forte opposition de blocage et de bien préparer la présidentielle de 2027.

Il faut quand même l’imaginer. Plus de douze millions de Français ont voté pour l’extrême-droite lors du premier tour de dimanche dernier. C’est dire si la France n’en finit pas d’incanter ses obscurs vieux démons.

S.B.F

Partage
  • 25 Avenue Jean Jaurès 1000 Tunis R.P - TUNIS
  • 71 331 000
  • 71 340 600 / 71 252 869