Chassez le mercantilisme, il revient au galop. Les crises successives du Covid-19, de la guerre russo-ukrainienne et du génocide perpétré par les forces d’occupation israéliennes à Gaza ont remis à l’ordre du jour de l’économie-monde les vieilles recettes du mercantilisme. On thésaurise à n’en plus finir, on spécule sur les finances, les richesses des États est refondée sur l’accumulation de l’or et de l’argent. La richesse et la puissance impériale redeviennent un but en soi moyennant l’abondance en hommes, en argent et en interventionnisme étatique.
Ce retour aux sources primitives du capitalisme est essentiellement dû au fait que le capitalisme en crise n’arrive plus à se régénérer. Il est partout en faillite et n’offre guère d’alternative tant de refondation que de remplacement. La bulle factice redevient la norme. A telle enseigne qu’on n’est pas loin ces jours-ci d’une reconduction planétaire de la crise des subprimes de 2008.
Politiquement, le libéralisme en prend un sacré coup. Témoins, les résultats des dernières élections européennes sanctionnées par une poussée historique de l’extrême-droite dans le Vieux continent. L’Europe malade est désormais peuplée de peuples angoissés et frileux. Ils craignent la mondialisation, la cherté du coût de la vie, due en partie à la construction alambiquée et artificielle de l’UE, et l’immigration.
La forteresse cadenassée
Bien qu’elle ait un besoin impérieux de main d’œuvre d’outremer et d’attributs de la régénération générationnelle, l’Europe se cadenasse à nouveau, devenant une sorte de forteresse. Une forteresse aux prises avec les démons de la peur, de la vieillesse et de la pauvreté rampante. Othello rapplique, on craint le maure, l’Africain, l’homme du Sud, nouvelles figures de la grimace de la peur et de l’effroi.
Bien évidemment, cela s’accompagne de théorisations et de mises en perspectives fictionnelles et factices. Et, là aussi, on revient aux vieilles recettes légitimatrices ou réconfortantes. C’est que les clichés et les poncifs ont la vie dure. Ils rappliquent souvent à la faveur des crises et crispations. En pleine guerre froide, Reinhold Niebuhr, théologien américain, raillait “les fanatiques ordinaires de la civilisation occidentale qui prennent les réalisations les plus contingentes de notre culture pour la forme et la norme ultimes de l’existence humaine”.
Ces derniers temps, la Tunisie a été aux prises avec un véritable chantage du FMI et de ses fanatiques ordinaires. Ses recettes proposées, toujours de mise et hautement risquées, menacent d’une conflagration sociale inouïe sous nos cieux. Le FMI n’en a cure. L’Europe s’y est attelée à sa manière, elle aussi.
Avec la diversification, annoncée récemment, de nos partenaires économiques, moyennant un recentrage de nos flux d’échanges et d’investissements, l’Europe tente de mettre un bémol à ses requêtes. Et il y a de quoi. Depuis quelques années, la mondialisation tant louée n’a plus d’attrait. Des pays africains et latino-américains sont de plus en plus revêches à la domination économique nord-atlantique, le pendant économique de la suprématie militaire de l’OTAN. Les pays du BRICS tentent un recentrage de l’économie mondiale et menacent la suprématie forcée du dollar.
Les fanatiques ordinaires du Sud
Sous nos cieux, hélas, les recettes eurocentristes ont de fervents supporters. A les entendre, rééquilibrer les flux des investissements et du commerce en vue d’assurer un échange moins inégal relève de l’hérésie. Eh quoi, nous signifient-ils, vous osez et daignez sortir de l’ornière de l’Europe ? A en croire que des miracles aussi éclatants que ceux de la Chine ou du Rwanda ont été réalisés sous le label de la dépendance économique vis-à-vis de l’Europe ou de l'Amérique.
Bien évidemment, il n’est guère question de remettre en cause notre coopération économique avec l’Europe. Elle est ancienne et fructueuse et accapare 70% de nos échanges. Par ailleurs, notre balance commerciale est largement excédentaire avec l’Europe. Seulement, diversifier est dans l’ordre naturel des choses. En même temps, la coopération européenne est, à bien des égards, univoque. Des sommes faramineuses de cette coopération sont siphonnées par les expertises européennes imposées au fil des accords. L’Europe prend plus qu’elle ne donne et s’avise toujours d’imposer ses normes et standards de surcroît.
En fin de compte, comme il y a en Occident des fanatiques ordinaires de la civilisation occidentale, il y a également sous nos cieux des fanatiques ordinaires de la dépendance vis-à-vis de l’Occident.
Recentrage diplomatique
Qu’on se rappelle de certaines grimaces de l’histoire. En juillet 2021, la France et l’Europe s'offusquent de la dissolution du Parlement tunisien. Elles se sont dites préoccupées et inquiètes. En juin 2024, le président français Emmanuel Macron dissout le Parlement français. Personne n’y trouve quelque chose à redire ! Parce que la dissolution du Parlement serait, à en croire nos fanatiques ordinaires, forcément arbitraire au Sud et démocratique en Europe. Ben oui, au début du 18e siècle déjà, Montesquieu faisait dire aux Parisiens “comment peut-on être persan ?” Les siècles se ressemblent par la méchanceté des hommes, renchérit plus tard Voltaire.
En tout état de cause, on ne peut que saluer les récents recentrages diplomatiques tunisiens, premièrement en faveur de la diplomatie économique tous azimuts et en second lieu envers de nouveaux partenaires. Souhaitons que ce ne soit guère une séquence circonstancielle. Parce que bien des officines et lobbys commencent déjà à s’inscrire en porte-à-faux de cette nouvelle donne. N’oublions guère la fameuse mouche du coche de La Fontaine : “Ainsi certaines gens, faisant les empressés/ S’introduisent dans les affaires/ Ils font partout les nécessaires/ Et, partout importuns, devraient être chassés”.
S.B.F