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La chronique de Soufiane Ben Farhat : “Moi, je l’éternel”, maladie sénile de la politique en Tunisie


Par Soufiane Ben Farhat 


La politique est parfois, elle aussi, affaire d’atavisme et de pathologies. On évolue toujours dans un environnement marqué de conditionnements sourds et souterrains. Témoin, notre classe politique, toutes instances confondues. Certains de ses vrais ou faux timoniers sont à la barre de leur parti ou organisation depuis des décennies voire un demi-siècle. Le Président Bourguiba, artisan de l’indépendance et fondateur de la République, s’était fait désigner président à vie. Son successeur, Ben Ali, a rallongé son mandat deux fois et s’avisait de le proroger encore avant d’être destitué. Après la révolution de 2011, la tare s’est élargie aux dirigeants de partis de l’opposition, de responsables syndicaux et même associatifs. Chassez l’arbitraire, il revient au galop.
J’en discutais l’autre jour avec un ami, fin connaisseur des arcanes de la politique politicienne sous nos cieux. Nous sommes convenus d’un navrant constat. La Tunisie qui, au fil de son histoire millénaire, a donné de jeunes hommes et de jeunes femmes de qualité ayant joué des rôles majeurs sur la scène universelle, serait-elle d’aventure devenue stérile à ce point ? Le panthéon national regorge de grandes figures, de bâtisseurs, d’illustres réformateurs. Pourtant la politique et la chose publique en général sont devenues de nos jours un mouroir, sinon une morgue effrayante.

Le baromètre du désamour
Cela se recoupe avec un autre état des faits. Lorsque les dirigeants s’éternisent dans leur affligeant surplace, les institutions périclitent. Les partis politiques, ainsi que les organisations de masse pilotées par les sempiternels dirigeants s’étiolent, perdent autant en crédibilité qu’en efficience, deviennent des coquilles vides. Ils résistent mal aux aléas et remous de la politique et des tempêtes, en provoquent dans leurs propres rangs et finissent par couler.
Je n’ose pas citer des noms, moins par autocensure que par souci de ne pas s’abîmer dans des polémiques stériles. Chacun se reconnaîtra. Toutefois, considérons ce qui s’est passé au cours des dernières années. Le baromètre de l’amour et de la sympathie envers les dirigeants politiques et syndicaux s’est mué en son contraire sinon en baromètre de la méfiance et du mépris. Personne n’y échappe, les dirigeants de droite comme de gauche, hormis peut-être les centristes, par essence modérés ou mous.
Par curiosité, j’ai tenu à me faire expliquer auprès d’un haut dirigeant syndicaliste la raison de la prorogation de leur mandat aux dépens des dispositions statutaires antérieures. Il m’a répondu tout de go : “C’est parce que les syndicalistes ont considérablement changé et parce que nous sommes indispensables” ! Lesdits indispensables sont au nombre de sept en fait tandis que l’organisation compte des centaines de milliers d’adhérents.
Et le pire, c’est que ce syndicaliste parlait avec conviction. “Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables, qui ont tous été remplacés” disait Clemenceau.
Depuis leur réélection pour un troisième mandat, la centrale syndicale bat de l’aile. Des dissensions irréductibles divisent ses rangs et son capital de sympathie auprès de l’opinion publique fond au fil des jours. Pour maints observateurs, c’est désormais une descente aux enfers pour l’illustre organisation dont les plus acharnés ennemis n’ont guère pu ébranler les murailles des décennies durant. Aujourd’hui, l’ennemi intérieur -c’est toujours le plus redoutable en fait- avatar du nombrilisme et de la bureaucratie syndicale, s’en charge en un tournemain.

Cannibalisme moderne
Le monde est ainsi fait. La bêtise y est la chose la plus démocratiquement partagée. Cependant, la question lancinante évoquée avec mon ami connaisseur des arcanes de la politique politicienne demeure.
A bien y voir, ce qui se passe sous nos yeux relève du cannibalisme politique. L’homme primitif dévorait l’ennemi qu’il venait d’abattre, croyant ainsi s’en approprier la force. Les responsables tunisiens s’y adonnent à loisir. N’est-il pas étrange que les pourfendeurs des régimes de Bourguiba et de Ben Ali, pour s’être éternisés au pouvoir, s’y adonnent à leur tour en toute impunité et sans égard à l’éthique et aux principes ?
Maintenant, hélas, le commun des Tunisiens, les jeunes surtout, tournent carrément le dos à la politique et aux responsabilités dirigeantes y compris dans les syndicats. Les sphères dirigeantes sont un peu composées de vieux, misogynes et sentent le souffre. La corruption y sévit. Elles sont partie intégrante de la gérontocratie qui nous gouverne. Et elles redoublent d’arrogance sénile et pathologique.
Le constat est sans appel. Il va falloir réinventer la politique. Y propulser les jeunes, prendre en considération la sociologie numérique, moraliser la vie politique. Autrement, nous sommes partis pour des décennies encore plus sombres.
Et puis, en politique comme dans l’amour, quand le cœur n’y est plus, tout se dissipe, la beauté, les promesses, le rêve quoi. “Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité” a dit Antoine de Saint-Exupéry. Autrement, c’est un perpétuel cauchemar.


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