Par Kamel ZAIEM
C’était jeudi 6 avril 2000. Vers 10 heures du matin, la Radio nationale a annoncé le décès de Habib Bourguiba, l’ancien président de la République, le « Combattant suprême » et le bâtisseur de la Tunisie moderne.
Cette triste nouvelle va pousser le président Ben Ali à décréter un deuil national de sept jours et le transfert de la dépouille de l’illustre disparu à la maison du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), à Tunis, vendredi 7 avril, pour lui rendre un ultime hommage et se recueillir à sa mémoire, avant de le conduire, le samedi après-midi, à sa dernière demeure au mausolée de sa famille, à Monastir, sa ville natale.
Pour les Tunisiens, une glorieuse page de l’histoire du pays venait d’être tournée, mais Bourguiba, qui a toujours su marquer les esprits, restera à jamais en mémoire. C’est aussi paradoxal que logique ; Bourguiba est mort, mais le bourguibisme, quasiment « enterré » par Ben Ali, a commencé, ce jour-là, à revivre. C’est que, 25 ans après cette journée historique, son souvenir reste intact, son œuvre continue d’inspirer et son héritage demeure profondément ancré dans l’âme tunisienne.
Dès la première année de l'indépendance, Bourguiba inaugure un train de réformes législatives, dont le fleuron reste le code du statut personnel (CSP). Promulgué le 13 août 1956, il accorde à la femme des droits sans équivalent dans le monde arabe. Il abolit notamment la polygamie et la répudiation, et exige, pour le mariage, le consentement mutuel des futurs époux. Cette attaque contre les sources de la discrimination contre les femmes fait des Tunisiennes des privilégiées au Maghreb et au Proche-Orient.
En devenant le premier président de la République, le 25 juillet 1957, après avoir aboli la monarchie dans un climat de liesse générale, Habib Bourguiba poursuit son projet de construction d'un État moderne. Il voit dans la gratuité de l'enseignement, auquel il accorde une bonne part du budget de l’Etat, le meilleur outil de lutte contre le sous-développement. Un pari qu’il a réussi pour mettre le pays au diapason de la modernité.
Autre témoignage de la grandeur de ce Président et Leader hors normes, le jour de ses funérailles, la Tunisie a vu défiler des chefs d’État et des dirigeants du monde entier, venus lui rendre hommage. Le président français Jacques Chirac, le leader palestinien Yasser Arafat, ainsi que plusieurs dirigeants africains, arabes et européens y étaient. Cette présence massive témoignait du respect et de l’admiration qu’inspirait Bourguiba bien au-delà des frontières tunisiennes. Son engagement en faveur du dialogue et de la paix, notamment sur la question palestinienne, lui avait valu une reconnaissance internationale, et sa disparition a marqué bien au-delà du monde arabe. Ce fut un moment solennel, une reconnaissance mondiale de son rôle dans la lutte pour l’indépendance et la construction d’un État moderne.
Les Tunisiens, reconnaissants, continuent, d’ailleurs, à considérer son long règne, jusqu’au 7 novembre 1987, comme « le bon vieux temps ». Il aura toutes les raisons du monde à se considérer quasiment « unique » dans son genre : « Il ne sera pas facile de remplacer un homme comme moi. Sur le plan sentimental, il y a entre le peuple tunisien et moi quarante ans de vie passée ensemble, de souffrances subies en commun, ce qui n'existera pas avec celui qui viendra après moi ». Prononcées en 1972, ces paroles immodestes de l'ex-président de la Tunisie, Habib Bourguiba, ont retrouvé, dès l'annonce de son décès, le jeudi 6 avril 2000, leur force prophétique.
Sacré Bourguiba…
K.Z.