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Cour Internationale de Justice: Israël piégé par l’Afrique du Sud pour génocide à Gaza


De l’Envoye spécial à La Haye Soufiane Ben Farhat

Les Israéliens se souviendront encore longtemps du génie froid, méthodique et pointilleux de l’Afrique du Sud. Les deux audiences publiques de la Cour Internationale de Justice (CIJ) à La Haye aux Pays-Bas des 11 et 12 janvier 2024 feront date. Traduit devant la CIJ pour génocide à Gaza, Israël s’y est rendu avec l’assurance orgueilleuse du prétendu éternel vainqueur. Il en est ressorti amoindri, douteux, humilié même par l’excellente prestation judiciaire et les brillants arguments juridiques des Sud-Africains.
Depuis des lustres, le lobby pro-israélien domine tout, le Conseil de sécurité de l’ONU, l’Occident nord-atlantique complice sinon aux ordres, les finances, les médias, la légalité internationale sans cesse bafouée, violée, renvoyée aux calendes grecques, et j’en passe. Et puis, se disait Israël à part soi, Mme Joan E. Donoghue, présidente de la CIJ, est bien une citoyenne américaine qui a longtemps officié au Département d’Etat américain. La voix de son maître quoi ! Elle saura bien amadouer les quatorze autres membres de la Cour et les deux greffiers.
Quand on compte pour soi on est toujours généreux. C’est classique. Seulement, en face, il y a l’Afrique du Sud et sa redoutable requête introductive de 84 pages incriminant Israël pour crime de génocide à Gaza. Et là, on est dans une autre dimension.

Gaza, un camp de concentration où un génocide est en cours
En neuf interventions et en moins de deux heures de plaidoiries (166 minutes) huit avocats sud-africains se sont succédé à la barre. Avec panache et brio. On multiplie les exemples démonstratifs, on détaille les faits, le faisceau d’indices est bien charpenté, évolutif, le réquisitoire bien ficelé. L’atmosphère est on ne peut plus grave et solennelle, l’évidence saute aux yeux, l’intime conviction des juges est bien ciblée. Le tout pour conclure avec l’avocat John Dugard : “Gaza est devenu un camp de concentration où un génocide est en cours…Il s’agit du premier génocide de l’Histoire dont les victimes diffusent leur propre destruction en temps réel, dans l’espoir vain que le monde fasse quelque chose” !
Principale avocate sud-africaine, Adila Hassim n’est pas en reste. Frimousse juvénile (elle est née en 1972), ton neutre et placide qui tranche avec l’insoutenable drame mis en relief par les faits relatés, elle en impose : “Israël a commis des actes relevant de la définition d’actes de génocide systématique…Les Palestiniens sont tués, risquent la famine, la déshydratation, la maladie, et ainsi la mort, du fait du siège qu’Israël a organisé, de la destruction des villes, d’une aide insuffisante autorisée à atteindre la population et de l’impossibilité de distribuer cette maigre aide sous les bombardements incessants…Tout ceci rend impossible l’accès aux éléments essentiels de la vie…Il s’agit d’actes commis dans l’intention délibérée de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux…Le meurtre de masse des Palestiniens atteint jusqu’à ce matin 23.000 victimes dont 70% sont des femmes et des enfants.” Elle reprend une phrase maintes fois réitérée par des responsables de l’ONU : “Il n’y a pas de lieu sûr à Gaza.”
Adila Hassim regarde les quinze magistrats de la CIJ en plus des deux assesseurs droit dans les yeux. Elle évoque “l’une des campagnes de bombardement les plus lourdes dans l’histoire de la guerre moderne, 6.000 bombes par semaine dans les trois premières semaines, moyennant des bombes de 900 kilos, les plus lourdes et les plus destructrices et qui n’épargnent rien, habitations, abris, écoles, mosquées, églises, camps de réfugiés, dans le Nord et dans le Sud de la bande de Gaza…Les Palestiniens sont tués quand ils s’empressent d’évacuer, quand ils n’ont pas évacué, quand ils prennent la fuite , même quand ils prennent les itinéraires indiqués par Israël comme sécurisés…Des centaines de familles plurigénérationnelles ont été décimées, personne n’ayant survécu. Personne n’est épargné, pas même les nouveaux-nés…Ces massacres ne sont rien de moins que la destruction de la vie palestinienne, infligée de manière intentionnelle…Israël sait fort bien combien de civils perdent la vie avec chacune de ces bombes”.
Adila Hassim évoque d’autres éléments constitutifs du génocide “l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et la soumission intentionnelle du groupe a des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle”. Elle rappelle “la mort et la mutilation de 60.000 Palestiniens, les civils palestiniens arrêtés et emmenés vers des destinations inconnues, le déplacement forcé de 85% des Palestiniens de Gaza depuis le 13 octobre 2023, sans retour possible pour la plupart, ce qui répète une longue histoire de déplacements forcés de masse…Israël vise par ailleurs délibérément à provoquer la faim, la déshydratation et l’inanition à grande échelle…L’aide empêchée par les bombardements ne suffit tout simplement pas, il n’y a plus d’eau propre, le taux d’épidémies et de maladies infectieuses s’est envolé, les attaques de l’armée israélienne prenant pour cible le système de santé déjà paralysé par des années de blocus et impuissant face aux atteintes et blessures.” Évoquant les naissances entravées, autre élément contitutif du génocide, l’avocate a conclu son plaidoyer de 24 minutes par une sentence irréfragable : “Les génocides ne sont jamais énoncés à l’avance. Mais cette Cour a devant elle 13 semaines de preuves accumulées qui démontrent de manière irréfutable l’existence d’une ligne de conduite et d’intentions qui s’y rapportent justifiant une allégation plausible d’actes génocidaires.”

Nécessaires mesures conservatoires d’urgence
Entre-temps, au moment même des plaidoiries qui ont duré deux jours, Israël n’en finissait guère de bombarder, tuer, mutiler, déporter et séquestrer des dizaines de milliers de populations civiles palestiniennes à Gaza. Raison pour laquelle l’Afrique du Sud a exigé des mesures conservatoires d’urgence pour prévenir le génocide de la population palestinienne à Gaza. Cela concerne l’arrêt immédiat des opérations militaires israéliennes, la cessation immédiate des tueries, des déplacements de population, la facilitation de l’accès à la nourriture et à l’eau ainsi que des soins et médicaments et la prévention de tout génocide.
Dans le fond, l’affaire ne sera pas jugée avant longtemps. Quant aux mesures conservatoires, “la décision sera rendue dès que possible” a indiqué la présidente de la CIJ en fin de séance, c’est à dire dans une semaine à dix jours.
Oui mais après qu’en sera-t-il ? Une fois le jugement rendu et la requête validée par la Cour, ce qui est probable, l’affaire pourrait être déférée devant le Conseil de sécurité de l’ONU, l’assemblée générale des Nations Unies ou la Cour Pénale Internationale. Il y a également l’éventualité de création d’un Tribunal pénal spécial pour génocide à Gaza à l’instar de ceux organisés pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie.
Tout est encore dans le conditionnel, Américains, Occidentaux et Israéliens s’affairant dans les coulisses pour blanchir Israël de ses crimes. Ce qui signifie donner le coup de grâce à la légalité internationale déjà largement décrédibilisée et en lambeaux.
Les siècles se ressemblent par la méchanceté des hommes a écrit un jour Voltaire. Le 21e siècle ressemble au 20e par la puissance destructrice de l’Occident et son enfant chéri Israël à l’encontre du Sud global. Celui-là même qui soutient mordicus la requête sud-africaine contre Israël pour génocide à Gaza et dont la Palestine une et indivisible de la rivière à la mer est devenue le symbole et porte-drapeau emblématique.
La Cour Internationale de Justice est devant un lourd dilemme. Principal bras judiciaire de l’ONU, sauvera-t-elle l’humanité du délire meurtrier et sanguinaire d’Israël et de ses mentors et alliés ? Ou bien creusera-t-elle davantage les lignes de clivage et de conflits qui n’en finiront guère de marquer le 21e siècle du sceau de l’infamie ?
Tout tient en un verdict en somme.
S.B.F


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