En France, à moins d’un miracle, l’extrême-droite est en passe de conquérir le gouvernement à l’issue des élections législatives du 30 juin et du 7 juillet 2024. Une première historique -dans le mauvais sens s'entend- dans la France républicaine. En effet, jamais au cours de sa longue histoire républicaine, et de la Ve République instituée depuis 1958, le gouvernement français n’a été accaparé aussi massivement par l’extrême-droite. Aujourd’hui, à moins d’un sursaut rageur de la dernière heure via un ralliement aux voix du nouveau Front populaire, l’extrême-droite du Rassemblement National (RN), menée par Jordan Bardella, poulain de Marine Le Pen, remportera la mise. Ces élections législatives anticipées interviennent au lendemain de la dissolution de l'Assemblée nationale française par le président français Emmanuel Macron le 9 juin dernier. Dissolution intervenue après l'annonce de la très large victoire du Rassemblement National aux élections européennes avec 31,37% des voix et plus du double des voix du parti présidentiel.
La perte du pouvoir d’achat, le sentiment diffus d’insécurité, la hantise de l’immigration, de l’Europe et de la mondialisation ont officié comme les ingrédients majeurs de la fusée Bardella.
Il y a deux jours, ce dernier annonçait sur BFMTV : “Si je deviens Premier ministre, je ferai de la question de l’immigration et du contrôle des frontières l’une de nos priorités”, promettant de surcroît de “supprimer le droit du sol” dès son arrivée à Matignon. Les derniers sondages indiquent que 39% des Français imaginent Bardella occuper le poste de chef du gouvernement à Matignon.
L’interminable spirale du déclin
Dans Le Figaro, la chronique de Nicolas Baverez semble écrite au scalpel : “La France connaît donc, avec une décennie de retard par rapport aux démocraties développées, son moment populiste. Il répond à une forme de logique car notre pays, par son refus de se moderniser qui l’a enfermé dans une interminable spirale de déclin, présente toutes les pathologies qui en constituent le terreau : stagnation économique, chômage de masse, paupérisation des classes moyennes, marginalisation de pans entiers du territoire, désarroi identitaire, explosion de l’insécurité, paralysie des institutions, défiance envers la classe politique. La France n’a résisté à la vague populiste qui aurait dû l’atteindre dès la décennie 2010 que par la solidité des institutions de la Ve République et par la discipline républicaine qui était partagée par la droite et la gauche de gouvernement. Mais Emmanuel Macron a démoli ces digues pour préparer méthodiquement l’arrivée du RN au pouvoir.”
En fait, en faisant siennes certaines thèses de l’extrême-droite croyant ainsi s’en approprier les électeurs, Macron a fait le lit de l’extrême-droite droite. Autrement dit, Macron a réussi à inféoder la droite républicaine historique tant caractéristique de la France au profit de l’extrême-droite indésirable. Jusqu’ici, à droite comme à gauche, la tradition jacobine l’emportait, désormais ce sera Vichy.
Souvenons-nous. Au plus fort de son ascension, M. Emmanuel Macron se considérait comme une espèce de synthèse entre la droite et la gauche françaises. Il s’en réclamait même haut et fort. Au bout de sept ans d’exercice chaotique du pouvoir, il s’avère une véritable erreur composée, qui aura miné aussi bien la droite que la gauche. Parce que, avec le triomphe annoncé de Bardella, la France ne sera plus la même.
Le piètre ministère de la parole
A bien y voir, l’exercice Macron aura été un interminable ministère de la parole. La communication, c’est bien, c’est salvateur même. Encore faut-il savoir la doser et surtout avoir quelque chose à communiquer. Autrement, la communication devient verbiage creux, logorrhées et logomachie.
Bien pis, l’inanité et les gesticulations diplomatiques françaises ont tôt fait de vider de sa substance ce qu’on appelait, tantôt à juste titre tantôt abusivement, le rayonnement international français. Sur des dossiers aussi épineux et explosifs que l’Ukraine ou le génocide perpétré par l’armée d’occupation israélienne à Gaza, la France a fait une piètre figuration. Elle atteint souvent l’inconsistance et frise toujours le ridicule. Témoins, les revers français incommensurables dans ses relations tant avec les pays d’Afrique subsaharienne qu’avec les États du Maghreb. Et cela entraîne une polarisation à l’extrême-droite de l’opinion française exsangue, fortement débilitée par les contrecoups sévères de la crise économique et la perte du pouvoir d’achat.
Au bout du compte, le déclin français s’accélère. Et la France semble en manque d’un grand projet, d’une grande vision porteuse et surtout d’un grand leader. Au XXe siècle, la France a connu tous les quinze ou vingt ans des hommes politiques illustres dont principalement Georges Clémenceau, Jean Jaurès, Léon Blum, Charles de Gaulle, François Mitterrand et Jacques Chirac. Depuis, c’est l’inexorable nivellement par le bas et le désert. La platitude sévit au sommet de l’Etat français. A en croire qu’il y a, au XXIe siècle, une malédiction de la présidence de la République en France.
Récurrente tentation de l’extrême-droite
A l’échelle planétaire, la France se retrouve confinée dans le statut des petites moyennes puissances en déclin. Pourtant, la Chine et l’Asie montent, l’Europe change, l’Afrique prend de l’ampleur. Tandis que la France fait du surplace.
La frilosité de la droite tentée par la lune de miel avec l’extrême-droite en rajoute au marasme. La droite républicaine préfère l’hydre de l’extrême-droite à la gauche républicaine. C’est dans l’ADN de la France. Pas plus tard qu’hier, Edwy Plenel écrivait à ce propos : “«On saurait difficilement exagérer l’émoi que, dans les rangs des classes aisées, même parmi les hommes en apparence les plus libres d’esprit, provoqua, en 1936, l’avènement du Front populaire.» Relues aujourd’hui, alors qu’un nouveau Front populaire s’est formé pour les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, ces lignes du grand historien et futur martyr de la Résistance Marc Bloch évoquent irrésistiblement la violence de la contre-attaque du camp présidentiel qui lui réserve tous ses coups, y compris les plus bas, tandis qu’il ménage l’extrême droite et relativise son péril.”
Vue de France, l’histoire semble statique, ou un éternel recommencement qui fonde toutes les dérives et les torpeurs annonciatrices des nuits sombres.
S.B.F.