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Tunisie-Chine- Briser les vieux carcans, voir grand Par Soufiane Ben Farhat

Il y a des choses que seule la paresse, sinon l’étroitesse des intérêts sordides, expliquent. Le fonctionnaire sous nos cieux, à quelque degré qu’il se situe, simple administrateur routinier ou haut commis de l’Etat, est par essence conservateur et timoré. Je dirais même qu’il l’est par vocation. C’est que l’administration, chez nous, est encore synonyme, abusivement, du gouvernement. Pourtant, elle devrait dépasser les considérations politiciennes éphémères pour s’inscrire dans le droit fil de la chose publique et de l’intérêt public. Mais les choses ont évolué ainsi dès le début et Dieu sait que les vieux plis ont la vie dure.

Aujourd’hui, ce qui est certain, c’est que le monde change. Les vieilles pratiques, si généreuses intentionnellement soient-elles, sont désormais synonymes de carcans. Le système, mis en place aux lendemains immédiats de la Deuxième Guerre mondiale et peaufiné à mi-chemin après la chute du mur de Berlin et du rideau de fer, ne tient plus la route. Partout, c’est la crise. Les idoles libérales nord-atlantiques s’écroulent. Les spéculations financières de haute voltige ont ruiné les économies, les tissus industriels, les réseaux commerciaux. Les États-Unis d’Amérique font du surplace. Longtemps seul crabe dans le panier de la politique internationale, les USA s’essoufflent. Leur plein engagement dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan a été au bout du compte désastreux et contreproductif. Une économie à dimension planétaire ne saurait tenir sur le seul socle du complexe militaro-industriel.

 

Le retour de l’ours et la montée du dragon

Entre-temps, le monde assiste au retour en force de l’ours russe, fragilisé deux décennies durant au lendemain de la fin de la guerre froide en 1991, et à l’irruption du dragon chinois. Le monde unipolaire est tombé en miettes.

Les Russes supportent le bras de fer militaire, faisant face et tenant la dragée haute en Ukraine à tous les pays de l’Otan. De leur côté, les Chinois ont réussi à enserrer l’économie-monde dans leur nouveau projet stratégique des nouvelles routes de la soie dite One Belt, One Road (une ceinture, une route). Ce projet lancé en 2013 concerne plus de 70 pays, regroupant 4,5 milliards d’habitants et représentant 40% du PIB de la planète. En lieu et place du FMI et de la Banque mondiale, ce réseau repose entre autres sur la Banque asiatique de l’investissement pour les infrastructures (BAII).

La récente visite d’Etat du président de la République M. Kaïs Saïed en Chine s’inscrit assurément dans un souci de nouveau repositionnement de la Tunisie sur l’échiquier planétaire. Une visite ostensiblement empreinte du côté chinois par le faste et les rituels d’hommage dus aux grands de la planète.

Est-ce à dire que la Tunisie tourne le dos à ses alliés et partenaires traditionnels ? Je ne le crois pas en fait. Mais il y a lieu également de déceler dans cette visite et de l’accord de partenariat stratégique qui y a été signé, un signal fort du côté tunisien. C’est le souci manifeste de diversifier ses partenaires et de sortir du goulet oppressant des seuls rapports univoques avec les pays de l’Occident, l’Europe en prime.

 

Halte au chantage économique et financier

Il faut relever que la Tunisie a été le premier pays sud-méditerranéen à signer, en 1995, un accord d’association avec l’Union européenne. Au bout du compte, ce fut une coquille vide. Tout au plus y a-t-il de bien maigres réalisations le plus souvent au profit des pays européens. Bien pis, lors du récent bras de fer opposant la Tunisie aux financiers et experts fondamentalistes du FMI, l’UE a pris fait et cause pour le FMI et s’est permise même un chantage économique et financier à ce propos à l’encontre de la Tunisie. En même temps, les crises du Covid-19, de la guerre en Ukraine et du génocide perpétré par l’armée d’occupation israélienne à Gaza ont démontré que l’Europe officielle est peu soucieuse de rapports d’équité envers nous. Dès lors que l’Occident nord-atlantique et Israël rappliquent, l’UE prend fait et cause pour le FMI, l’OTAN et Israël. C’est un choix stratégique européen aussi bien économique et financier que diplomatique et militaire. Ils le disent, ils l’assument, ils le crient sur les toits.

Prendre ses distances, se défaire du carcan oppressant et renverser la vapeur, c’est la moindre des attitudes dues au réalisme salvateur et à l’impératif de privilégier les intérêts supérieurs du pays.

Dès lors, notre administration, historiquement tributaire des réflexes d’alignement sur les options des seuls enjeux européens, doit changer de logiciel. Nos opérateurs économiques aussi. Il ne s’agit point de rompre avec nos partenaires traditionnels, mais bien plutôt de diversifier les vis-à-vis et de rompre le cercle vicieux du tête-à-tête avec la seule Europe. La Chine en soi n’est pas le fin mot des nouveaux enjeux. Il y a bien le Japon, la Malaisie, la Corée du Sud, l'Indonésie, le Mexique, le Brésil et bien d’autres partenaires.

Les petits ruisseaux font les grandes rivières dit-on. Mais les petits ruisseaux peuvent se perdre dans la nature. Ce qui semble le cas précisément de l’Europe essoufflée, l’Europe vieillie, l’Europe désargentée et de plus en plus peureuse et effrayée, l’Europe cadenassée comme une forteresse aux prises avec de vieux démons et de nouvelles épouvantes.

Quant à nos rapports avec l’Europe, il faut tout faire, des deux côtés, pour qu’ils ressuscitent sur des dynamiques nouvelles et qu’ils ne soient pas confinés dans les souvenirs. Parce que le souvenir est voisin du remords.

S.B.F 

 

 

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