Par Chokri Baccouche
Le syndrome protectionniste de Trump fait des émules, décidément, dans un pays qu’on croyait lié au nôtre par des liens de «fraternité» historique. Selon l’agence de presse italienne Nova, le ministère libyen de l’Économie et du Commerce, relevant du gouvernement d’union nationale d’Abdul Hamid Dbeibah, a soumis au Conseil des ministres un projet de décret visant à instaurer de nouveaux droits de douane sur les marchandises importées de 26 pays, dont la Tunisie qui se verra infliger un taux de 20%. Les responsables libyens présentent cette mesure comme une initiative visant à «protéger les produits locaux, encourager la production industrielle nationale et réduire la dépendance aux importations ». Ils la justifient également par «l’incapacité de la Libye à accéder à des accords de libre-échange multilatéraux comme l’Union douanière européenne ou la Zone arabe de libre-échange ».
Même s’il n’est pas encore entré en vigueur, le projet lié à cette mesure fiscale a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux. Très remontés, certains internautes ont appelé les autorités tunisiennes à prendre des mesures similaires alors que d’autres ont sévèrement critiqué «l’ingratitude» des responsables libyens pour avoir oublié dans leur démarche les «liens historiques unissant les deux pays » et surtout, surtout, la «solidarité agissante exprimée par la Tunisie à l’égard du peuple libyen durant les différentes crises qui ont secoué la Libye, notamment après la chute du régime de Kadafi. Si ce projet venait à être officiellement adopté, il porterait immanquablement un coup dur aux échanges commerciaux bilatéraux et, par ricochet, aux économies très imbriquées et interdépendantes des deux pays. Dans la pratique, nombre d’entreprises tunisiennes qui réalisent avec notre voisin du Sud la part la plus importante de leur chiffre d’affaires risquent d’en faire les frais et subir de plein fouet les effets pervers de cette mesure fiscale actuellement en gestation. A l’échelle macroéconomique, l’imposition par l’ancienne Jamahiriya de droits douaniers pour les produits tunisiens va porter préjudice à la balance commerciale tunisienne qui traine déjà un grave déficit.
Par les temps qui courent, il n’y a pas de «fraternité» qui vaille. L’époque des relations qu’on croyait immuables et que rien ne pourrait «logiquement» altérer est bel et bien révolue. Les relations entre les Etats sont régies en effet et de plus en plus par les seuls intérêts. La décision libyenne est peut-être discutable et a froissé les sentiments de certains de nos concitoyens mais elle doit être interprétée, malgré tout, comme un acte de souveraineté nationale. Chaque pays a, en effet, le droit de prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour préserver ses intérêts. Rien ne sert donc de se plaindre et de se lamenter car on va devoir, d’une manière ou d’une autre, composer avec les probables aléas que va imposer ce projet. En clair, nous devons nous préparer à l’avance pour faire face à tous les scénarios. Cette nouvelle donne doit impérativement inciter nos décideurs à explorer d’autres voies, des horizons nouveaux et envisager de nouvelles alternatives à même de préserver nos intérêts et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’économie. Le monde est grand comme on dit et les opportunités pour tisser des relations commerciales et établir des relations de partenariat avec les pays d’Asie, de l’extrême Orient ou d’Amérique du Sud foisonnent. Elles sont nombreuses et intéressantes à plus d’un titre. Il faut juste se donner la peine de baliser le terrain et d’agir en conséquence pour en tirer profit. La concrétisation de cet objectif salvateur dépend bien évidemment de notre capacité d’adaptation à un environnement économique international de plus en plus concurrentiel et qui se distingue par son hostilité croissante. Bref, un redéploiement total est nécessaire doublé d’un changement de mentalité qui doit animer l’action future de nos acteurs économiques qui doivent faire preuve d’audace, créativité et agressivité pour conquérir de nouveaux marchés. Le rôle de catalyseur incombe bien évidemment à l’Etat qui se doit d’accompagner ce mouvement d’ensemble par des mesures d’encouragement des investissements et de facilitation des procédures administratives dont les lourdeurs actuelles constituent un obstacle pour toutes les bonnes initiatives. Certes, le challenge ne sera pas une sinécure mais il reste tout de même largement à la portée pour peu de s’en donner les moyens et de s’y mettre sans plus tarder. A cœur vaillant rien d’impossible.
C.B.