Il n’y a guère mieux que l'Assemblée générale des Nations unies pour traduire les faits et les orientations des États membres sans fioritures ni vétos. Ces derniers sont l’apanage arbitraire du Conseil de sécurité, dominé par les principaux pays occidentaux. Ainsi, ce 10 mai, l’octroi du droit de vote à la Palestine a-t-il fait l’objet d’un vote à l'Assemblée générale. Une résolution proposée par les États Arabes visant à réexaminer et à soutenir l’adhésion de l'État de Palestine aux Nations unies, en tant que 194e État membre.
Si 143 pays ont voté en faveur de la résolution, 9 pays ont voté contre, à savoir : l’Argentine, la République tchèque, la Hongrie, Israël, Micronésie, les États-Unis d'Amérique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, Nauru, Palau.
Parmi les 25 États qui se sont abstenus de voter, il y a lieu de signaler l’Albanie, l’Autriche, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, la Finlande, la Géorgie, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, l’Ukraine, le Royaume-Uni.
A bien y voir, les principaux pays occidentaux, hormis la France, votent contre ou s’abstiennent. De leur côté, l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie et Malte, pays membres de l’Union européenne, prévoient de reconnaître l’Etat palestinien le 21 mai, aux tout récents dires de Josep Borrel, responsable de la politique étrangère de l’UE.
Une bonne conscience à géométrie variable
Savez-vous ce que c’est qu’une bonne conscience à géométrie variable ? Inutile de vous creuser les méninges. C’est tout simplement une mauvaise conscience. Et l’Occident est passé maître en la matière. D’abord, via la violence symbolique qui opère une douteuse association d’idées entre Occident d’un côté, pays dits civilisés et monde libre de l’autre.
Ensuite en vertu du double standard selon qu’il s’agisse de l’Ukraine ou de la Palestine, (voire du Soudan ou du Congo également). Les Ukrainiens sont quasi-sacrés aux yeux des responsables occidentaux tandis que le génocide à l’encontre des Palestiniens perpétré depuis sept mois suscite à peine quelque préoccupation due à une agression presque anodine, en bémol et du bout des lèvres.
Ainsi la tragédie palestinienne est-elle vouée à être continuellement bafouée, en dépit de la légalité internationale, des résolutions du Conseil de sécurité, des stipulations de la Charte universelle des Droits de l’homme, du droit et de la liberté de l’information. Quand on sait l’ampleur de la chape de plomb de la censure systématique et vigilante imposée dans les plus vieux pays dits démocratiques aux médias supposés être les plus libres, on comprend la vraie teneur des choses. Il ne faut guère être devin pour y souscrire. Le lobby sioniste et proisraelien contrôle l’écrasante majorité des médias en France et aux Etats-Unis notamment.
La “démocratie autoritaire”
La chute d’un brillant article du Monde Diplomatique de février 2024 signé Serge Halimi et Pierre Rimbert et intitulé “Le journalisme français, un danger public” résume ce fourvoiement médiatique délibéré : “En quatre mois, les dirigeants du «quatrième pouvoir » n’ont pas seulement alimenté un culturalisme qui, comme au temps des empires coloniaux, place l’Occident au pinacle de l’humanité. Ils ont, dans leur grande majorité, entériné le point de vue de l’extrême droite israélienne et accompagné ou cautionné en France la marginalisation des opposants à la guerre en leur interdisant d’exprimer des solidarités hier encore évidentes. Ils ont ainsi précipité le baptême républicain
du RN, en même temps qu’ils célèbrent le réarmement militaire et moral de la France au nom de la lutte contre la menace russe et le terrorisme islamiste. Le combat mené depuis quinze ans par les gouvernements libéraux contre les mouvements «populistes» et les régimes «illibéraux» a ici trouvé un renfort inattendu : la naissance et l’installation en France d’un journalisme autoritaire.”
Après, ces mêmes pays s’érigent en donneurs de leçon en matière de gouvernance, de respect des droits de l’homme et de liberté de la presse. Ils trouvent bien entendu des relais sous nos cieux, des séides intéressés par le pactole financier et les liaisons dangereuses et douteuses.
Malheureusement, même la légalité internationale est soumise à cet éternel jeu de pressions et de partis pris aveugles. Les résolutions de l’ONU et du Conseil de sécurité reconnaissant les droits imprescriptibles des Palestiniens à un État indépendant, au retour des réfugiés et aux attributs de la vie digne sont relégués aux oubliettes. L’épuration ethnique et le génocide perpétrés par Israël a l’encontre des Palestiniens, reconnus comme tels même par la CIJ, principal organe judiciaire de l’ONU, demeurent impunis et se poursuivent en direct sur les écrans télé.
Combat d’arrière-garde
Les opinions publiques occidentale et mondiale, elles, ne s’y trompent guère. Elles manifestent depuis des mois, condamnent la guerre d’extermination sans relâche, y compris au sein des villes et universités américaines, les USA étant la béquille dorée d’Israël. N’empêche, les forces de l’ordre américaines les matent brutalement, arrêtent les manifestants, sanctionnent des milliers d’étudiants et les professeurs d’université. Les règles démocratiques de base sont battues en brèche.
En dernière instance, l’Occident, qui s’est toujours prétendu éclairé et précurseur, joue les combats d’arrière-garde. Il ne fait en somme que retarder une échéance fatale. La question palestinienne étant une des dernières excroissances perverties du colonialisme, la Palestine libre et indépendante finira bien par l’emporter et recouvrir ses droits. Entre-temps, le flux des victimes s’alourdit de jour en jour. Trente-cinq mille Palestiniens tués, des milliers de disparus, plus de soixante-dix mille blessés, des millions de personnes déplacées, et la liste n’est guère exhaustive. Bien pis, la soldatesque israélienne semble en voie d’exécuter dans les prochains jours un vaste carnage sans commune mesure à Rafah, au Sud de la bande de Gaza, où sont pris au piège plus d’un million et demi de réfugiés palestiniens.
L’humanité et les principes universels des droits de l’homme ne sont en fin de compte qu’un paravent, un cache-misère pour régenter le monde selon le bon vouloir des puissances impériales nord-atlantiques. L’Occident humanicide, quiconque a des yeux pour voir le trouve sous le vernis.
S.B.F.