Par Amna Atallah SOULA
Hassanine Ben Ammou évoque, d’entrée de jeu, une scène qu’il dépeint avec soin dans un style au rythme long qu’évoque l’atmosphère d’une « kayloula » mi-journée d’été.
En plein milieu des planches de ce décor théâtral figure une toute jeune demoiselle Rahmana, à la beauté et au charme envoutants. Cette scène se déroule au 16èm siècle sur un toit enduit à la chaux d’un blanc immaculé, de l’une des maisons de la médina de Tunis.
A certains d’entre nous, la lecture de ces pages impose la réminiscence d’émotions demeurées enfouies dans nos souvenirs d’enfant. Elles émergent à l’évocation des odeurs suaves de plats ancestraux que la fillette Rahmana hume en contrôlant le séchage des semoules du couscous exposées au soleil ; et ce, pendant les jours les plus torrides de l’été.
Concomitant à l’histoire de Rahmana, le romancier nous conte l’histoire de la dynastie des hafsides (d’origine berbère ayant gouverné l’Ifriqiya entre 1228 et1574). Il parle de leurs gloires et de leurs déboires ; des splendeurs de cette dynastie et de son déclin.
Le règne d’Abi Amrou Othman était des plus prestigieux et des plus prodigieux, contrairement à celui d’Abou Yahya Zakaria II. Trahisons, assassinats, et troubles avaient fini par affaiblir le royaume ; ajouter à cela le véritable cataclysme qu’avait produit alors la perte de l’Andalousie et la débandade qui s’en était découlée.
Dans cette saga de l’épopée hafside défilent, à travers une succession de personnages plus ou moins influents et hauts en couleurs, des histoires toujours captivantes.
Rahmana, l’énigmatique, la créature ensorceleuse est le personnage clef, la pierre qui soutient la construction de ce fabuleux conte historique. Par moments, les violences des affrontements entre troupes ottomanes et celles espagnoles sont exposées au prisme des passions des narrateurs. Souvent, ces narrateurs ne sont autres que les fidèles à Rahmana. Ceux-là qui suivent ses traces pour la retrouver tantôt radieuse en favorite épanouie, tantôt en cloitrée sombre ou dans les bas-fonds du port de la Goulette entre les mains de soldatesque espagnole.
L’auteur ponctue son œuvre d’une ribambelle de séquences jalonnées de chroniques qui nous remémorent l’histoire de notre pays.
Le long règne d’al Hakam al Hafsi (trentaine d’année) a fini par entamer fortement la puissance du royaume. Ce monarque était frappé de cécité incurable pour les dangers qui guettaient la Tunisie. Sa désinvolture, son indolence et son immoralité de conduite avaient laissées les portes grandes ouvertes aux intrigues, à la perfidie, à l’avidité de son entourage et aux convoitises des forces étrangères. C’est ainsi que furent perdues l’Algérie et la Tripoli. Pour finir, IL sollicitait la protection des frères Barberousse et n’était pas regardant, en contrepartie de leurs services, aux présents qui leurs sont impartis. Les fait-d ’armes de ces derniers étaient positivement accueillis par la population.
Ben Ammou narre avec force détails les affrontements qui avaient opposé en 1535 les troupes de khayr ad Din Barberousse à celles de Charles Quint (empereur européen). L’expédition de ce roi contre Tunis était, dit-on, celle qui avait le plus marqué son règne, la plus glorieuse. Il quittait Tunis en laissant une forte garnison et sur le trône al Hassen al Hafsi un Sultan humilié et devenu vassal.
Sinan Pacha, envoyé en Tunisie par Sélim II en 1574, remporta une victoire décisive sur les Espagnols.
Dans d’autres séquences des exemples de la simple vie des habitants de Bab Souika, de Bab Dzira…pauvreté, privation, soumission ou rébellion, bravoure et générosité caractérisaient ces humbles gens
L’auteur utilise avec art des démonstrations sur les évènements de l’histoire où il situe son œuvre. Il porte un regard critique et ferme jugement sur les réalités de cette époque. En d’autres circonstances, il embrasse le langage de la liberté d’esprit pour laisser libre cours à une fertile imagination. Le conteur évoque avec fantaisie et grande faculté des images de personnes intrigantes et d’endroits à la verdure luxuriante.
Ce roman historique est écrit dans un style d’une agilité aérienne. Des adages et des dictons de pur jus tunisien, s’y succèdent dans un dialecte qui est le nôtre et viennent agrémenter le texte. Une épopée de notre histoire est contée d’une manière très agréable par Hassanine Ben Ammou, est mise entre nos main. Très facilement accessible aux francophones.
A.A.S