Par Soufiane Ben Farhat
Pour les connaisseurs de l’envers et de l’endroit de la scène politique tunisienne, c’était un secret de polichinelle. La course à l’élection présidentielle a commencé il y a des mois déjà. Même les plus radicaux pourfendeurs du régime du Président Kais Saïed y jouent des coudes et des hanches. Et ce, bien avant que le Président Kais Saïed annonce pas plus tard qu’hier que l’élection présidentielle aura lieu au terme de son mandat, fin 2024 comme prévu.
C’est que la fonction présidentielle fait couler la salive, ici comme ailleurs. Dans l’imaginaire populaire, “président ” est un mot chargé de symboles, magique même. Dans le jargon politique d’ailleurs, on assimile la présidence de l’Etat au titre de la magistrature suprême. Je me souviens de feu le Président Béji Caïd Essebsi me chuchotant avec un sourire malin : “Vous savez, la Constitution (de 2114) consacre le régime parlementaire mais le peuple, lui, est présidentiel.” Et bien que du temps de la problématique Constitution de 2014 le régime ait consacré le régime des trois présidences, en perpétuel conflit par ailleurs, Béji Caïd Essebsi a su jouer de ce qu’il qualifiait son “magistère”. Il fut la figure proéminente mais pas toujours heureuse du système de 2011 à sa mort en 2019. Rached Ghannouchi, chef de file des islamistes d’Ennahdha, fut une autre figure, mais toujours défaillante et largement discréditée et exécrée du système. Bien que les prérogatives de la Présidence fussent alors limitées, Béji Caïd Essebsi, en vieux briscard, sut s’imposer et en imposer.
En 2022, les Tunisiens furent appelés à se prononcer par référendum sur la nouvelle Constitution promue par le Président Kais Saïed et instituant un régime non point uniquement présidentiel mais plutôt présidentialiste à l’américaine. Le nombre de participants au scrutin égala de peu celui des électeurs aux législatives de 2019. Et 94,60% se prononcèrent en faveur de la nouvelle Constitution, le non se confinant dans les 5,40 restants. Béji Caïd Essebsi avait raison, le peuple est dans son écrasante majorité présidentiel.
Le choix cornélien de l’opposition
Entendons-nous bien. Parmi ceux qui considèrent que le Président Kais Saïed a commis un coup d’Etat le 25 juillet 2021, certains semblent les plus prompts à participer à la future élection présidentielle. C'est-à-dire sur la base de la Constitution de 2022 qu’ils considèrent nulle et non avenue.
Pourtant, ils ont ouvertement boycotté et appelé au boycott du référendum sur la Constitution et des quatre tours des élections législatives et locales qui s’ensuivirent. Logiquement, ils devraient appeler au boycott de l’élection présidentielle fondée à leurs yeux sur “le régime et la Constitution du coup d’Etat”. Mais ce n’est guère le cas. Les conciliabules ont déjà commencé sur leur(s) futur(s) candidat(s) à la présidentielle contre le Président Saïed qui, bien que ne s’étant pas encore prononcé, devrait se présenter à nouveau à la magistrature suprême. Il y a même un débat houleux parmi certaines franges de l’opposition à ce propos. Certains prônent même le choix d’un candidat unique plutôt que d’avancer en rangs dispersés.
Opportunisme, clament les uns, pragmatisme rétorquent les autres. En tout état de cause, il semble bien que parmi les figures dominantes de l’opposition radicale au régime de Kais Saïed, le choix de la participation plutôt que le boycott l’emporte. Il y a même des noms qui circulent “sous le manteau”.
Alliances, contre-alliances et volte-faces
Je ne juge pas, j’observe. Chacun est libre d’adopter la posture qu’il juge la meilleure. Encore faut-il qu’y préside la cohérence et la sincérité. Je vois venir -et je comprends- les ricanements légitimes de ceux qui en appellent à la magistrale sentence de Machiavel, pour qui la morale et la politique ne vont guère de pair. Sous nos cieux, c’est on ne peut plus vrai. Bien pis, notre scène politique rappelle la sentence de Levinas, pour qui “la politique s'oppose à la morale, comme la philosophie à la naïveté”. Hélas !
En tout état de cause, les prochains mois promettent d’être particulièrement révélateurs en postures temporaires, alliances, contre-alliances et volte-faces.
Manipulateurs des discours, c’est-à-dire démagogues chevronnés, les politiques et pseudo-politiques sont passés maîtres dans l’art de soutenir la chose et son contraire. Les inconditionnels supporters, eux, consomment comme des veaux. C’est dans la vocation cardinale de leur rôle de séides. Autrement, ils se font éjecter.
Et l’on ne peut manquer de s’interroger sur les véritables motivations des uns et des autres. Certes, chacun ira de son refrain sur l’intérêt voire le salut public. On connaît la rengaine.
Mais, ici plus qu’ailleurs, les véritables acteurs et commanditaires, ne sont pas forcément ceux qu’on voit sous les feux de la rampe. A l’instar de l’économie, tout est mondialisé. Et il n’est point d’élection aujourd’hui, à quelque degré qu’elle se situe, qui échappe au jeu des aires d’influence.
Parce que, en politique politicienne, la vérité n’est pas l’évidence. Et vice-versa. Élémentaire mon cher Watson !
S.B.F