Une première dans l’histoire tumultueuse de la République française. A l’issue du premier tour des élections législatives d’hier, le Rassemblement national (extrême-droite) est en passe de conquérir la majorité absolue à l'Assemblée et d’accaparer le gouvernement. Pour la première fois dans l’histoire tumultueuse de la République française, un parti populiste d’extrême-droite réalise un score aussi spectaculaire avec 33% des voix rien qu’au premier tour. Il devance le Nouveau Front populaire de gauche (28%) et la coalition Ensemble pour la République (majorité présidentielle) qui est confinée à seulement 22% des suffrages.
Le Rassemblement national aura-t-il, à l’issue du second tour, la majorité absolue à l’Assemblée (290 sièges sur les 577 députés) ou bien n’aura-t-il qu’une très forte majorité relative de blocage et de marchandage ? Attendons de voir le second tour. Seulement, dans les deux cas, la République française ne sera plus la même. Le ver est déjà dans le fruit et la poussée inédite et inouïe de l’extrême-droite française lui ouvre une artère fluide et dorée pour conquérir la présidence de la république en 2027. Dès lors, la Ve République elle-même subira un test-choc de vitalité voire même de viabilité.
A la base de ce revirement spectaculaire, somme toute escompté depuis quelques mois, il y a bien évidemment l’échec, la faillite et la débâcle d’un homme, le président français Emmanuel Macron.
Emmanuel qui ?
Il y a quelques jours, le quotidien français Libération publiait à la Une et en manchette un titre fort instructif “Législatives- Emmanuel qui ?”. On voit sur la photo Macron vu de dos, seul et hagard, l’allure guindée, quasi minuscule dans un coin de ce qui ressemble à une portion de place pavée avec un fond sombre et terrifiant. Au dessous du titre, il y a une longue phrase : “Lâché par ses ministres, désavoué par ses candidats, incompris par ses électeurs, le président de la République se retrouve marginalisé avant un premier tour qui s’annonce dévastateur pour la majorité sortante”.
Le vote d’hier était un vote-sanction et protestataire. Le locataire de l'Elysée y est directement pris à partie. Il n’a fait que multiplier les bourdes et les choix fallacieux et impopulaires. Croyant rebondir en procédant à la dissolution de l’Assemblée à l’issue des élections européennes, il s’est retrouvé pris dans la souricière. Son parti et la coalition de la majorité présidentielle en ont bavé. En revanche, l’extrême-droite et les divers gauche ont progressé, le premier massivement et les seconds relativement.
Il a mal calculé son coup, qui n’accède point au statut de stratagème. Il s’est davantage isolé et a fait sombrer sa propre coalition, qui y laisse de sérieuses plumes.
Un véritable cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire en somme. Certes, la France a de tout temps été un pays fortement centralisé, les institutions convergeant, depuis l’institution de la Ve République en 1958, sous la coupe d’un président de la République qui a tout l’air d’un monarque républicain. Mais là, le roi semble nu et malavisé.
Grogne au sommet, courroux à la base
Vote-sanction et vote protestataire se sont ainsi ligués pour concrétiser une déroute. Ainsi les ouvriers pressurés par la crise, la hausse des prix et la paupérisation galopante en France ont voté Front National à charge de 57% d’entre eux, talonnés par les employés (44%). A l’inverse, les cadres ont voté à hauteur de 34% pour le Nouveau Front populaire, contre 26% pour la coalition de la majorité présidentielle et 21% pour le Rassemblement national.
Paradoxalement aussi, les plus riches et les plus pauvres ont voté en prime pour l’extrême-droite. Les plus aisés ont privilégié le Rassemblement national (32%) puis la gauche (26%) et enfin la coalition de la majorité présidentielle (23%). A titre comparatif, lors des législatives de 2022, la majorité présidentielle obtient 28% auprès des riches, contre 22% pour la gauche et seulement 15% pour le .Rassemblement national. Les plus pauvres eux aussi ont massivement voté en faveur de l’extrême-droite.
Tout cela démontre qu’il y a partout grogne et que le courroux populaire a été adroitement accaparé par l’extrême-droite et, au deuxième rang, la gauche reconstituée in extremis. Le tout résultant de la dégradation générale et diffusé des conditions de vie du haut de l’échelle sociale à la base.
Souvenirs vivaces
Les mouvements protestataires des gilets jaunes sont encore vivaces. La loi sur les retraites, celle sur l’immigration, la récente crise agricole et les mouvements sociaux qui s’ensuivirent imprègnent encore les esprits et n’en finissent pas de cultiver le ressentiment auprès du français moyen. Économiquement, les différents gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont profité qu'aux banques, aux spéculations, à la thésaurisation. Autrement dit, il n’y a en France en matière économique que le capitalisme financier, ses subterfuges et ses rouages d’un côté, l’austérité et la paupérisation pour la multitude en face.
Bien pis, Emmanuel Macron a troqué les valeurs républicaines et jacobines en faveur de l’intériorisation des postures et du credo de l’extrême-droite. Il croyait ou feignait ainsi de camper le malin en marchant sur la plate-bande du Rassemblement national, Emmanuel Macron en a fait le lit au bout du compte. De tout temps, faire entrer un lionceau dans sa demeure finit par une tragédie.
Maintenant les dés sont à moitié jetés. Des centaines de triangulaires sont en lice pour le second tour dimanche prochain. Mais les macronistes semblent bien préférer l’extrême-droite à la gauche. Au risque de faire encore le lit des vampires de l’échiquier politique français. Et de baliser une voie royale au profit de Marine Le Pen lors de la prochaine élection présidentielle, qui pourrait bien être anticipée.
Tel est pris qui croyait prendre. Seulement, en l’occurrence, le tout l’édifice de la Ve République française se fissure et menace ruine. Et au cas où Emmanuel Macron cède le témoin de la présidence de la République française à Marine Le Pen, il sortira de l’histoire par le sablier de l’oubli.
S.B.F