L’effondrement du mur du lycée secondaire de Mezzouna à Sidi Bouzid, qui a tué trois élèves, est un accident qui peut arriver n’importe où et à n’importe quel moment. Il ne peut toutefois pas être traité comme un simple fait divers, tellement il symbolise un mal incurable qui ronge notre pays depuis des décennies entières. Certes, il s’agit d’un drame qui aurait pu être évité si les alertes répétées sur l’état de délabrement des infrastructures scolaires avaient été entendues. Mais c’est en même temps un reflet d’une marginalisation systématique des régions de l’intérieur. C’est un drame qui vient tracer les traits d’une Tunisie à deux vitesses dans laquelle la citoyenneté semble perdre de sa valeur au fur et à mesure que l’on s’éloigne du littoral.
Cette discrimination territoriale n’est pas le fruit du hasard. Elle est la conséquence de la centralisation des politiques de prise de décision, d’une gestion douteuse des ressources publiques et d’une défaillance flagrante des mécanismes de contrôle. Combien de projets de développement promis pour ces régions et annoncés en grandes pompes dans les plans quinquennaux qui ont fini aux oubliettes pour manque de volonté politique? Combien de milliards initialement programmés pour ce qui est supposé être des zones de développement prioritaire avaient été réorientés vers des régions mieux loties? La réponse résonne, aujourd’hui, dans les centaines d’écoles et d’hôpitaux délabrés et sous-équipés et des kilomètres de routes impraticables qui accentuent l’isolement d’une bonne partie du territoire national et la marginalisation des pans entiers de la population.
Derrière cette injustice se cache un long cortège de responsables irresponsables: des décideurs politiques qui programment des projets sans assurer leur financement, des cadres administratifs qui bloquent ou retardent les décaissements par négligence ou complicité, des entrepreneurs qui réalisent des travaux en favorisant leurs bénéfices au détriment des normes qualité et de sécurité, en toute impunité. Un véritable enchaînement de dysfonctionnements profondément ancrés dans les rouages de l’Etat renforcé par l’absence de sanctions et de reddition des comptes
L’affaire de Mezzouna doit marquer un tournant. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer, mais d’exiger des comptes. Où sont passés les fonds alloués à l’entretien des écoles? Pourquoi les rapports d’inspection alertant sur les risques ne débouchent-ils jamais sur des actions concrètes? Jusqu’à quand tolérera-t-on que des vies soient sacrifiées sur l’autel de la gabegie administrative et de la corruption? La solution exige une rupture radicale avec les pratiques actuelles à travers une décentralisation dotant les collectivités locales de réels moyens d’action. Un audit transparent est également indispensable pour mettre au grand jour, une fois pour toutes, le sort des centaines de projets abandonnés et des fonds qui leur avaient été alloués. Il incombe, ensuite, à la justice de déterminer les responsabilités et de sanctionner tous ceux ayant failli à leur devoir, sans complaisance aucune et quel que soit leur statut.
Le temps des demi-mesures est révolu. Chaque jour perdu dans l’inaction aggrave le fossé entre les régions et rend incertaine la volonté de reconstruire une société sur la base de l’équité et de justice. La Tunisie ne pourra pas avancer tant qu’une partie de Tunisiens sont traités en citoyens de second degré.
H.G.