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Editorial : Sauver une mémoire collective en déperdition …

Par Chokri BACCOUCHE

Le tragique effondrement du mur d’enceinte d’un lycée à Mezzouna, ayant causé, lundi dernier, la mort de trois jeunes élèves, est venu nous rappeler le grave danger que représentent les centaines d’immeubles qui tombent en ruine dans la capitale et les plus grandes villes du pays. Un petit détour dans les faubourgs de Tunis à travers la médina et certaines artères névralgiques suffit pour dresser à l’œil nu un constat des plus alarmants. En effet, le patrimoine urbain de la Tunisie est dans un état déplorable. Nombre d’édifices datant du début du siècle dernier tiennent encore debout comme par miracle. Laissés à l’abandon depuis des années, ils ont subi inévitablement l’usure du temps et représentent aujourd’hui une véritable bombe à retardement et une menace pour la sécurité des occupants et des passants. Le constat n’est pas du tout exagéré comme nous le rappelle d’ailleurs le drame survenu à Sousse en 2017 suite à l’effondrement d’un immeuble qui a fait six morts et plusieurs blessés. Selon les statistiques officielles, plus de 5800 édifices situés dans les différents gouvernorats du pays sont menacés d’écroulement dont 30% constituent un réel danger pour les citoyens. La municipalité de Tunis compte à elle seule 818 constructions sur le point de crouler dont une centaine nécessite une évacuation immédiate. Elle est talonnée par le gouvernorat de Mahdia qui se classe à la 2e position avec environ 425 bâtiments menaçant ruine et le gouvernorat de Jendouba qui en compte 228.

Pourquoi le patrimoine urbain de la Tunisie, qui constitue pourtant une richesse historique et culturelle indéniable et un vecteur de promotion touristique de premier plan, part-il en vrille ? Parce qu’on ne fait rien ou presque pour le sauver. Parce que, chez nous, on a pris l’habitude de laisser pourrir les choses faute et lieu de restaurer et de réhabiliter ce patrimoine en déperdition. Un peu par négligence bureaucratique et beaucoup par calcul mesquin et délibéré. Un vieux immeuble situé dans une zone stratégique ou une artère névralgique attise, en effet, les convoitises des affairistes et autres lobbies de l’immobilier qui n’attendent que la première occasion pour s’en emparer et bâtir à sa place un édifice à plus forte valeur ajoutée commerciale. D’ailleurs et suite à l’effondrement de l’immeuble de Sousse, le ministère de l’Equipement s’est saisi illico du drame et avait élaboré, rappelons-le, un projet de loi pour détruire les immeubles menaçant ruine dits IMR. Pour étayer ses arguments, le ministère diffusait une vidéo alertant sur l’imminence du danger. Mais c’était sans compter la réaction immédiate de l’Association Édifices et Mémoires qui a non seulement dénoncé une approche «douteuse et précipitée» mais également lancé une campagne «Winou el patrimoine ?» («Où est le patrimoine ?») pour la revalorisation du capital architectural tunisien en péril. Les principaux griefs retenus par cette organisation tiennent du fait que le projet de loi entre en contradiction avec le Code du patrimoine en vigueur depuis 1993, qui privilégie la sauvegarde et la réhabilitation des IMR à leur démolition. Et qui confie à la Culture, et aux institutions sous sa tutelle, la mission de protéger les sites et les monuments. Il occulte également les expériences réussies de réhabilitation, qui ont apporté pourtant une plus-value culturelle et commerciale à des zones historiques en décrépitude. La requalification de l’avenue Bourguiba à Tunis, la réhabilitation du quartier andalou, des rues Sidi ben Arous et Dar-el-Jeld dans la médina, les interventions de sauvegarde à Kairouan et les quatre prix Aga Khan d’architecture obtenus par la Tunisie en sont autant d’exemples. Sous la pression de la société civile, ce projet de loi a été finalement suspendu mais le problème garde toute son intensité.

S’il faut reconnaitre que certains immeubles sont condamnés et ne peuvent plus être réhabilités, tel n’est pas le cas pour de nombreux autres édifices situés notamment à Tunis et dans les grandes villes du pays et qui méritent qu’on leur donne une seconde vie. Qui plus est, ces bâtiments sont de véritables pépites irremplaçables avec leur architecture typiquement andalouse, art déco, rococo et liberty d’une beauté à couper le souffle et qui donnent un cachet particulier aux centres de Tunis, Bizerte et Sousse. Il importe aujourd’hui de tout faire donc pour sauver ce legs historique d’une valeur inestimable et éviter que ce trésor patrimonial ne tombe entre les mains des spéculateurs immobiliers dont le seul souci est de réaliser le maximum de profit. La rareté du foncier qui a conduit à l’envolée des prix au mètre carré ne doit pas se faire au détriment de notre histoire et notre patrimoine urbain. Tout doit être fait pour réhabiliter cet héritage historique irremplaçable dans la célérité requise qui constitue la mémoire vivante de notre passé commun et un important vecteur de développement dans un pays à vocation touristique…

C.B.

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