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Dr Melek Abdennadher tire la sonnette d’alarme : « famine et catastrophe sanitaire menacent Gaza » !

Interview conduite par Abir CHEMLI

Les nouvelles qui nous parviennent de Gaza ne sont pas du tout bonnes... Outre la terreur des bombardements, les tueries barbares et le feu dévorant jeté par une armée déshumanisée, les Gazaouis souffrent aussi de famine, de propagation des maladies et d’un terrible manque d’hygiène... Le bilan dressé par le ministère de la Santé Palestinien donne froid au dos et glace le sang de ceux qui prétendent encore appartenir au rang des humains... Même si les habitants de Gaza survivraient au feu du colonisateur, ils risqueraient malheureusement de pâtir des conséquences terribles de cette guerre injuste sur la santé...
Comment vivent-ils ? Que risquent-ils ? Que leur faut-il et en toute urgence pour...survivre ? C’est à ce propos que lequotdien.com.tn a interrogé le Dr Melek Abdennadher, médecin généraliste de première ligne.


-LeQuotidien : L’autorité sanitaire palestinienne à Ghaza a affirmé avoir détecté environ 700 000 cas de maladies infectieuses et cutanées. En tant que médecin, comment décririez-vous cette situation sanitaire ?


- Que s’est-il passé à Gaza ? Il y a eu des bombardements massifs où des milliers de tonnes d’explosifs ont été jetés sur les foyers. Les Gazaouis n’avaient donc plus de toits par-dessus leur tête ni un refuge où s’abriter. Ils étaient contraints de se rassembler sous les seuls endroits disponibles où ils vivent en collectivité. Et qui dit collectivité, dit surpeuplement. Et il s’agit là des premiers facteurs de risque pour la propagation des maladies et pour les contaminations. J’explique : lorsqu’un membre d’une famille de cinq personnes attrape le virus de la grippe, il risque de contaminer les cinq autres membres puisqu’ils vivent ensemble ! Mais imaginons que ce sujet vit en collectivité avec 200, 300, 500 personnes ou plus ! La contamination risque de passer à toutes ces personnes !

Les mesures barrières qui imposent une distanciation, le port d’un masque, le lavage fréquent des mains, le non-partage des affaires personnelles, etc. n’est même pas envisageable compte tenu des circonstances dans les refuges ! Les gens manquent cruellement d’espace, s’entassent les uns sur les autres, n’ont ni eau, ni savon, ni sanitaires, ni affaires personnelles, ni outils pour désinfecter, ni les moyens pour isoler les personnes malades ... bref, c’est un nid idéal pour la prolifération de toutes sortes de virus et de bactéries ! Dans de pareilles collectivités, il y a sûrement des personnes fragiles comme les cancéreux, les asthmatiques, les diabétiques, ceux qui souffrent d’insuffisance rénale... et tous les sujets immunodéprimés. Et ce, à côté des vieilles personnes, des nourrissants et des femmes enceintes qui ont tous une immunité faible et fragilisée. Un simple virus d’influenza circulant parmi ces personnes souffrantes de maladies chroniques et ayant une faible immunité, peut carrément les tuer ! D’où la gravité de la situation!

Mais ce n’est pas tout ! Car même si aucun virus n’est là, ceci ne rend pas le risque moindre. On parle d’un quotidien sans eau, sans désinfectants et sans soins médicaux. Et s’il n’y a pas ces outils, ceci veut dire qu’on ne peut pas nettoyer et désinfecter les foyers et comme, en plus, le bombardement a touché les infrastructure, l’eau usagée s’est infiltrée dans les conduits d’eau potable ce qui est en soit une catastrophe ! Parce que ceci fait que toutes les maladies bactériennes se propagent. C’est notamment le cas pour les hépatites, la typhoïde, etc. Les conditions de survie de la population de Gaza dans des lieux de surpeuplement causeront donc une gigantesque propagation de toutes les maladies bactériennes et infectieuses de multiples genres.

Et moult maladies se manifestent par des diarrhées aigües. Et qui dit diarrhée, dit déshydratation. Et nous savons tous que l’eau n’existe pas suffisamment, ce qui rend les conséquences désastreuses où l’on peut mourir de déshydratation ! Au meilleur des cas, une déshydratation peut donner une insuffisance rénale. Sans traitement, celle-ci se transforme en insuffisance rénale aigüe laquelle peut aussi devenir chronique.... ce qui accroît le risque d'avoir besoin d’une dialyse...

Toutes ces complications rendent les sujets immunodéprimés et enclins à attraper toutes les maladies qui circulent ! Pis encore, il n’existe pas de sanitaires propres où l’on fait les besoins, ce qui mène à des risques de surinfection ! Et n’oublions pas aussi que certains corps gisaient par terre sans être enterrés et ont fini par se dégrader dégageant des toxines qui exposent les vivants à moult infections.
Il s’agit donc de toute une chaîne de problèmes de santé dont les maillons sont malheureusement liés les uns aux autres. Et le pire dans tout ce chaos, est que ces gens n’ont pas d’accès aux soins suite à l’effondrement du système de la santé à cause des bombardements massifs et abusifs des hôpitaux et à l’arrêt de l’approvisionnement en matériels de soins et en traitements !


-Qu’est-ce qui attend donc les habitants de Gaza dans de pareilles conditions ?


Hélas, sans intervention immédiate et urgente, les propagations des maladies et la mort ! D’ailleurs, l’Histoire prouve que lors des guerres, ceux qui meurent des maladies infectieuses sont plus nombreux que ceux qui meurent suite à un bombardement. D’où le vice et la malice de cibler des hôpitaux lors des guerres et qui relèvent d’un crime de guerre qui devrait être puni par les organisations humanitaires internationales !   


-Et pour ce qui est du manque d’eau et de nourriture, quel impact ceci pourrait avoir sur la santé des Palestiniens ?


Le manque de nourriture engendre une famine, c’est-à-dire des carences ! Et les carences causent un manque d’énergie et un manque d’immunité. Le risque est doublé puisque nous sommes en pleine saison hivernale où le corps a besoin de plus d’énergie et de calories pour se réchauffer. Sans nourriture suffisante, le corps risque une hypothermie parce qu’il n’a pas de ressources pour produire une énergie qui le réchauffe surtout s’il n’est pas assez habillé et assez couvert... Et ce, sans parler de ceux qui dorment carrément sous des tentes perméables et que leurs corps affaiblis restent en plus mouillés durant des heures dans un atmosphère froid et humide ! De plus, ils dorment sur la terre. Et humidifiée, la terre se transforme en boue et la boue est un nid de prolifération idéale pour les bactéries, ce qui causera des maladies dermatologiques qui donnent des lésions. Et ces lésions captent plus facilement les bactéries ! Celles-ci peuvent passer dans le sang et le sujet peut donc mourir... Que dirai-je de plus ? Il s’agit d’une véritable catastrophe sanitaire et humanitaire !


-Comment peut-on les sauver ? N’existe-t-il donc pas de moyens pour stopper cette catastrophe ?


-Franchement je ne sais pas quoi dire parce que les risques ainsi que les solutions sont connus de tous, notamment par la communauté internationale qui continue d’adopter la politique de l’autruche ! L’OMS, l’UNICEF, les Nations Unis, les Cours Internationales... ils savent tous ce qui se passe et comment y mettre fin. Mais personne ne juge bon d’aller plus loin que les condamnations orales ! Où est la conscience humaine ? Parce que lorsque je vois que sous de pareilles conditions, on prive en plus l’UNERWA des subventions de plusieurs pays, je me dis que l’humanité est malade !  L’eau doit parvenir à Gaza, la nourriture doit parvenir à Gaza, et il faut surtout et en toute urgence qu’il y ait des hôpitaux mobiles de campagne bien équipés et fournis en médicaments, en produits et en traitements. Ces hôpitaux doivent être implantés à proximité et cueillir ces gens en toute urgence ! Et il faut aussi des tentes de refuge, des couvertures, des habits chauds, du savon, des produits d’hygiène... Bref, les rudiments les plus élémentaires pour une vie ou une survie saine !


-Est-ce que les organisations internationales comme le Croissant Rouge, l’UNICEF, etc. peuvent agir à ce niveau? Et du côté des médecins ne peuvent-ils pas exercer une pression ?


C’est l’accès à Gaza qui pose problème parce que toutes les frontières sont fermées. Le Croissant rouge tunisien est en train de ramasser des dons pour Gaza en coordination avec l’Etat et avec le ministère de la Défense. Et ces dons sont expédiés vers le passage de Rafh. Sauf que ce passage est fermé et les aides restent en suspens. Mais ils doivent au moins lever la voix et exercer une pression jusqu’à ce qu’il y ait une levée du l’embargo. Pour ce qui est des cadres médicaux et paramédicaux, on entend parler dans les couloirs du ministère de tutelle qu’il y a des négociations pour l’expédition des bénévoles. D’ailleurs, ils ont noté nos noms et nos numéros de passeports. Mais le problème ne se pose pas à notre niveau national ! Il l’est au niveau de l’embargo ! Il existe plusieurs coordinations entre la Tunisie et l’Egypte. Le Parlement Tunisien joue un rôle pour pousser dans ce sens, sauf que ceci ne dépend pas seulement de la Tunisie malheureusement ! Il existe une longue liste de bénévoles aussi bien du secteur public que privé qui se sont inscrits et sont prêts à partir dès qu’on aura le feu vert.

 
Et si tout cela n’arrive pas, à quel scénario doit-on s’attendre ? Quel sera le sort de la population de Gaza ?


-Eh ben sur le plan de santé, il y aura inévitablement de grandes épidémies aussi bien à Gaza que dans les pays voisins ! Car il suffirait que des réfugiés soient admis dans d’autres pays, pour que le risque de propagation devienne réel jusqu’à se transformer en pandémie mondiale ! Et ceci est arrivé par le passé lors des guerres. Donc le scénario possible, hélas, c’est encore le génocide ! Parce que ceux qu’on ne tuera pas par le feu, on les tuera par la famine, les épidémies et la propagation des maladies !


-Et ceci n’est pas un crime, une sorte de non-assistance à des personnes en péril ?


-Pour ceux qui peuvent et ne le font pas, oui ça l’est ! Ce qui se passe à Gaza est contre toute morale et contre-humain! Et d’ailleurs, je profite de l’occasion pour passer un appel à travers lequotidien.com à toute l’armée des blouses blanches, médecins et paramédicaux : nous devons accomplir notre devoir humain et humanitaire et agir en exerçant une pression. La moindre des choses serait de publier des communiqués de condamnation, d’organiser des mouvements de protestation et des manifestations. Nous devons occuper les rues pour envoyer un message fort à la communauté internationale et aux décideurs, de leur transmettre notre point de vue concernant tout en décrivant ce qui se passe à Gaza, car il s'agit d'une véritable catastrophe sanitaire...  

A.C.

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