Par Hassan GHEDIRI
La dépendance aux importations de pétrole rend théoriquement avantageuse, pour notre pays, toute chute des cours internationaux. Concrètement, cela n’a jamais eu d’impact sur le portefeuille des Tunisiens…
Alors que les cours internationaux du pétrole poursuivent leur chute, atteignant un niveau historiquement bas avec le Brent à 69,28 dollars le baril, de nombreux pays ajustent rapidement les prix des carburants à la pompe. Cependant, en Tunisie, cette baisse ne se répercute que très lentement, voire pas du tout, sur les prix locaux de l’essence et du gasoil. Une situation qui perdure et qui ne manque pas de susciter des interrogations, d’autant plus que la quasi-totalité des hydrocarbures commercialisés et consommés en Tunisie sont importés et donc payés au dollar.
Les prix du pétrole poursuivent, en effet, leur chute entamée depuis début mars. Lundi, le prix du Brent, pour livraison en mai prochain, a plongé sous la barre de 70 dollars pour se situer à 69,28 dollars. Une chute que les spécialistes expliquent par la décision récente des pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) d’augmenter la production de barils ainsi que la volonté du président américain, Donald Trump, de ramener les cours du baril à un prix bon marché.
Fortement dépendante du marché international d’hydrocarbures pour répondre à ses besoins énergétiques, la Tunisie a importé près de 4,3 millions de tonnes de produits pétroliers, pour un coût avoisinant les 4 milliards de dollars, soit environ 10% de son PIB. Cette facture énergétique représente une charge considérable pour le Trésor public, déjà fragilisé par un déficit budgétaire chronique et une dette publique élevée.
La consommation nationale de carburants s’élève à environ 3,5 millions de tonnes par an, dont près de 60 % sont consacrés au transport routier. Cette dépendance aux importations rend théoriquement avantageuse toute baisse des cours internationaux du pétrole. Pourtant, les Tunisiens ne voient que très rarement ces baisses se traduire par une réduction significative des prix à la pompe.
Agir sur la subvention
L’une des principales raisons de cette inertie réside dans le système de subventions et de taxes appliqué par l’État tunisien. Le carburant commercialisé dans notre pays est en effet soumis à une fiscalité complexe, comprenant une taxe intérieure de consommation (TIC) et une TVA, qui représentent une part importante du prix final. Par exemple, sur un litre d’essence vendu à 2,500 dinars, près de 40 % du prix correspond à des taxes. A cette structure de prix, il faut ajouter le système de subventions sur les carburants, visant à limiter l’impact des fluctuations des cours internationaux sur les ménages et les entreprises. Ce système est très coûteux pour les finances publiques, comme le montrent les chiffres. En 2024, la subvention des hydrocarbures a par exemple coûté près de 2,3 milliards de dinars, soit environ 5% du budget de l’État. Lorsque les cours du pétrole baissent, l’État préfère souvent réduire le montant des subventions plutôt que de répercuter intégralement la baisse sur les prix à la pompe, afin de soulager le budget national.
Il faut également souligner que les difficultés structurelles de l’économie tunisienne ne laissent qu’une très petite marge de manœuvre au gouvernement dans un contexte de baisse significative des cours de pétrole. En effet, durant toutes ces dernières années, les gouvernements successifs ont toujours traité avec beaucoup de retenue la question des prix des hydrocarbures.
Pourtant, la réforme du système de subventions a été à l’ordre du jour à partir de 2019 lorsque la Tunisie s’était engagée dans le processus de négociation avec le Fonds monétaire international (FMI) en vue de la conclusion d’un accord de prêt. L’une des conditions émises par le bailleur de fonds pour le décaissement du prêt était justement la libéralisation des prix des carburants.
Alors, si aujourd’hui la baisse des cours internationaux du pétrole représente une opportunité pour la Tunisie de rationaliser les dépenses de subvention et réduire la facture énergétique, la structure des prix locaux continue à empêcher les consommateurs de profiter directement des réductions de prix à la pompe. Une réforme en profondeur du secteur énergétique, bien que complexe, est toutefois susceptible de mieux aligner les prix locaux sur les réalités du marché international tout en allégeant la pression sur les finances publiques.
H.G.