La lutte contre l'inflation est un défi majeur pour de nombreux pays, y compris la Tunisie.
L’aspect institutionnel incluant la politique monétaire, qui est l'ensemble des décisions prises par une autorité monétaire pour contrôler la masse monétaire et les taux d'intérêt, est un outil essentiel pour combattre l'inflation. Cependant, il est important de noter que la politique monétaire seule ne suffit pas toujours à résoudre ce problème complexe.
Etats des lieux
Selon des données rendues publiques, lundi 6 mai 2024, par l'Institut national de la statistique (INS) l'inflation annuelle des prix à la consommation en Tunisie a ralenti à 7,2% en avril dernier, contre les 7,5% du mois de mars ce qui indique la poursuite des pressions inflationnistes dans le pays depuis plus de deux ans.
Les prix ont ralenti pour l'alimentation et les boissons non alcoolisées (9,2% contre 10,2% en mars 2024) et les transports (3,1% contre 3,3%), tandis qu'ils ont maintenu le même rythme de hausse pour les boissons alcoolisées et le tabac (9%), le logement et services publics (4,3%), communication (2,5%) et santé (9,3%). En revanche, les prix accélèrent pour les loisirs et la culture (5,2% contre 4,9%). Sur une base mensuelle, les prix à la consommation ont augmenté de 0,9%, après une hausse de 0,7% en mars.
En avril dernier, les prix des produits manufacturés ont connu une augmentation de 7,1% sur une base annuelle, à cause de l'augmentation des prix de l’habillement de 9,8% et des prix des produits d’entretien courant du foyer (nettoyage) de 9%.
En mars 2024, la Banque centrale de Tunisie (BCT) a déclaré qu'elle n’avait opéré aucun changement sur son taux d'intérêt directeur, le maintenant à 8 %, qui est un seuil élevé par lequel le gouvernement tente d’inverser la tendance des prix à la consommation vers la baisse.
Origines de la problématique
Les tensions inflationnistes en Tunisie découlent de plusieurs facteurs. D'une part, l'économie du pays a connu des fluctuations importantes, passant d'une croissance négative en 2011 à une légère croissance en 2015 et 2019, avant de subir une contraction en 2023. En parallèle, la diminution significative des récoltes céréalières en 2023 a accru la dépendance aux importations alimentaires, entraînant une augmentation des prix. D'autre part, la dépréciation marquée du dinar tunisien sur cinq ans, conjuguée à l'inflation importée résultant de la hausse des prix mondiaux des produits alimentaires et énergétiques, a renforcé la pression inflationniste.
Parallèlement, des facteurs tels que le déficit commercial croissant et la diminution des réserves en devises ont contribué à affaiblir le taux de change et à alimenter l'inflation. De plus, les politiques monétaires laxistes, l'indexation des salaires et la volatilité des taux de change ont exacerbé le problème. Enfin, la contrebande et la spéculation ont prospéré dans un environnement de crise économique et de lacunes réglementaires, aggravant la rareté des biens et alimentant davantage l'inflation.
Contexte spécifique
Après l'envolée des prix consécutive à la pandémie de Covid-19 et à la poussée de la croissance occidentale, l'émergence du conflit entre la Russie et l'Ukraine aggrave les pressions inflationnistes. Ces deux acteurs représentent ensemble plus d'un tiers des exportations mondiales de blé, avec une part de 17% pour la Russie et 12% pour l'Ukraine. La guerre actuelle a fait grimper le prix du boisseau (27 kg) de blé, passant de 6,18 dollars en 2021 à 9,26 dollars, atteignant ainsi son plus haut niveau depuis 2012. De plus, l'Ukraine, qui détient 50% du marché mondial de l'huile de tournesol, subit une flambée des prix des huiles végétales.
La Tunisie, importatrice régulière de ces deux produits touchés par des pénuries depuis plusieurs mois, se trouve dans une situation précaire. En tant que principaux producteurs de gaz et important producteur de pétrole, les cours des hydrocarbures ont été fortement impactés par l'invasion russe. Le prix du Brent, par exemple, est passé de 74,4 dollars à 86,5 dollars en février 2022, pour dépasser les 135 dollars aux États-Unis un mois plus tard. Dans ce contexte, les Tunisiens, déjà résignés, devront faire face à des prix en constante hausse.
Impact monétaire
L’inflation en Tunisie est mesurée par l'évolution de l'Indice des Prix à la Consommation, qui suit les variations de prix d'un panier représentatif de biens et services. Ce taux d'inflation fluctue autour de 8-9% ces dernières années
La politique monétaire peut influencer l'inflation de plusieurs manières. En ajustant les taux d'intérêt, la banque centrale peut contrôler la demande globale dans l'économie. Des taux d'intérêt plus élevés peuvent décourager les emprunts et les dépenses, ce qui peut réduire la demande et donc l'inflation. De plus, en contrôlant la masse monétaire en circulation, la banque centrale peut limiter la croissance excessive de la demande et donc de l'inflation.
Limites institutionnelles
La politique monétaire, bien qu'utile, rencontre des limites dans sa capacité à combattre efficacement l'inflation, surtout dans des contextes comme celui de la Tunisie et d'autres pays en développement. Tout d'abord, des facteurs externes tels que les chocs économiques mondiaux ont eu un impact significatif sur les niveaux d'inflation, rendant la politique monétaire nationale moins efficace dans la gestion de ce phénomène. De plus, les pressions sur les coûts de production, souvent liées à des problèmes structurels ou à des inefficacités dans l'économie, ont alimenté l'inflation indépendamment des mesures prises par la banque centrale.
En outre, l'adoption de politiques monétaires restrictives, telles que l'augmentation des taux d'intérêt, a eu des effets négatifs sur la croissance économique et l'emploi. La politique monétaire trop stricte menée par la BCT a entraîné une réduction des investissements et des dépenses de consommation, ce qui aurait freiner la croissance économique et aggraver le chômage.
Par conséquent, il est crucial de trouver un équilibre délicat entre la lutte contre l'inflation et le soutien à la croissance économique. Les autorités monétaires doivent tenir compte de ces divers facteurs et adopter une approche prudente et équilibrée pour maintenir la stabilité économique et financière tout en minimisant les effets négatifs sur la croissance et l'emploi.
Approche globale pour combattre l'inflation
Pour lutter efficacement contre l'inflation en Tunisie, des experts préconisent l'adoption d’une approche holistique qui combine la politique monétaire avec d'autres politiques économiques. Cela peut inclure des réformes structurelles pour améliorer la compétitivité de l'économie, des politiques fiscales pour contrôler les déficits budgétaires, des mesures pour stimuler l'investissement et la productivité, ainsi que des politiques pour renforcer la stabilité financière.
Bien que la politique monétaire soit un outil important dans la lutte contre l'inflation en Tunisie, elle ne peut pas agir seule. Une approche coordonnée et complète, impliquant d'autres politiques économiques, est essentielle pour atteindre des résultats durables dans la maîtrise de l'inflation et la promotion d'une croissance économique stable.