Par Imen ABDERRAHMANI
Qu’avons-nous fait de notre révolution? Qu’avons-nous fait de nos rêves? Chronique d’une révolu-tion en continu, portée par une militante qui n’a pas posé encore ses armes, «La fille du 8 janvier» est au cœur de l’actualité sociopolitique tunisienne.
Projeté à deux reprises, «La fille du 8 janvier» est en lice pour le Tanit de la compétition nationale, cette nouvelle section créée pour être une vitrine de la richesse de la production documentaire.
Les deux projections se sont déroulées à un timing très symbolique, puisque Tunisiens et Tunisiennes célébraient le 14e anniversaire de la révolution. Une célébration qui se veut chaque année une occasion pour faire le bilan du chemin parcouru depuis et pour renouveler les espoirs d’un avenir meilleur sur tous les plans. Et «La fille du 8 janvier» est au cœur de ces interrogations, de ces tourmentes et de ces aspirations puisque le film suit et raconte le parcours d’une militante tunisienne, Kaouther Ayari, la fille du 08 janvier, d’où le réalisateur Marwen Meddeb a tiré son histoire comme le titre de son film.
Long-métrage documentaire qui a pris presque quatorze ans pour être fignolé, «La fille du 8 janvier» est une méditation sur la révolution et les années postrévolutionnaires du point de vue de cette militante qui, malgré tous les obstacles n’a jamais baissé les bras.
Ce documentaire porte un premier regard sur la révolution et un deuxième sur la jeunesse militante populaire.
Il était une fois à la Place Med Ali
Remontant le temps, rafraichissant les mémoires des Tunisiens, basculant la quiétude des uns et ravivant les espoirs des autres, Marwen Meddeb mène le spectateur à la place Mohamed Ali, place emblématique dans l’histoire de la lutte sociale, un certain 8 janvier 2011… l’un des jours décisifs dans l’histoire con-temporaine de la Tunisie. La réunion de ce jour-là, à cet emplacement-là, avec toute sa symbolique, en temps crucial, où les manifestants investissaient les rues de toutes les villes tunisiennes a été détermi-nante. Et c’était le déclic pour la révolution comme pour le réalisateur…
Devançant les manifestants réunis à la place Mohamed Ali et les forces de l’ordre qui encerclaient ce lieu symbolique, Kaouther Ayari, cramponnée au fer forgé d’une fenêtre, a pris la parole, incitant les Tunisiens à poursuivre leur révolution, à se débarrasser de la dictature et du système corrompu… Motivant, son discours a trouvé de bons échos, ravivant la flamme de la révolution. Comme une lumière aux creux des ténèbres étaient ces mots prononcés par cette jeune citoyenne tunisienne, issue d’un quartier populaire à Menzel Bourguiba qui, petite, a rêvé d’un pays juste, d’un pays où tous les citoyens sont égaux, d’un pays où les enfants des quartiers populaires et des villages ne doivent pas marcher des kilomètres pour accéder à l’école, où les ruelles serpentées des quartiers ne soient pas envahis par les boues et où l’eau potable est à la portée de tous les citoyens…
Devoir de mémoire
Entre son passé, avant son célèbre discours du 8 janvier qui a été relayé par la presse internationale fai-sant de cette jeune fille l’une des icônes féministes de la révolution tunisienne, et le présent, les années révolution avec les sit-in, les grèves de la faim, nous fait voyager le film. Entre l’histoire personnelle de l’un des symboles de la révolution et l’histoire collective d’un pays en quête de stabilité et d’équilibre, nous mène le film, jetant de la lumière sur de nombreuses épineuses questions telles que la situation des bles-sés de la révolution, le chômage, l’intégrisme, la bataille pour les droits sociaux… Marwen Meddeb qui prend parfois la parole, pour rappeler certains événements, pour raconter des moments de déception, n’hésite pas à inciter son héroïne à « fouiller » encore dans sa mémoire.
Le rythme parfois lent traduit bien la pesanteur de certains évènements qui ont impacté le pays comme la montée de l’intégrisme ou encore la souffrance de ceux qui ont été «interdits» de travailler.
A la fois analyse sociopolitique impitoyable de ces 14 ans de révolution et émouvant chant pour le peuple tunisien, le vrai et seul protagoniste de cette histoire de révolution, et surtout pour la femme tunisienne, très souvent oubliée par les historiens, le film se clôture sur une chanson de Cheikh Limam, interprétée par les enfants de Kaouther Ayari qui croit toujours qu’un guerrier prend une pause mais jamais la retraite.
I. A.