contactez-nous au 71 331 000
Abonnement

Compétition officielle des longs-métrages de fiction - «L’effacement» de Karim Moussaoui (Algérie) : L’Algérie, et cette épineuse question des générations…

Par Imen ABDERRAHMANI

Radioscopie sociopolitique, «L’effacement» s’interroge sur la société algérienne contemporaine qui continue à sacraliser ses héros nationaux, marginalisant ses jeunes quitte à les écraser…


Réalisateur algérien, Karim Moussaoui est né en 1976 en Algérie. Il n’a connu ni l’Algérie coloniale ni la guerre de libération. Il a entendu parler et étudié dans les manuels scolaires ce que ses aïeux ont sacrifié pour la liberté. Sa relation avec l’Algérie coloniale et postcoloniale, l’Algérie de l’après-indépendance, reste dans la phase «théorique», «pédagogique», fondée sur ce que porte la mémoire collective, ce que pro-pose l’Etat dans le programme scolaire et sur ses observations quotidiennes... «L’effacement» puise dans ses récits quotidiens, bannissant les récits officiels glorifiant les héros de la guerre, explorant dans les profondeurs la société algérienne d’aujourd’hui.
Adaptation libre d’un roman éponyme de Samir Toumi, le film repose dans sa première partie sur un portrait de deux générations, la première celle des «pères», des libérateurs, forts à tel point de devenir des dictateurs, bâtisseurs du pays et gardiens des acquis de l’indépendance. Et celle des «fils», des «fils des héros», blessés, écrasés par leurs pères, rejetés par une catégorie de la société algérienne pour de nombreuses raisons, que le film les détaille au fil de l’avancement des événements…
Axée sur la relation Père-Fils, à travers la relation de cet ancien combattant avec ses deux fils, l’un rebelle et l’autre calme et soumis, cette première partie du film focalise sur la question de la transmission. Quant à la deuxième partie, elle est consacrée à la révolte, au désir de se libérer des chaînes familiales, des préjugés sociaux, d’exister loin de la famille, d’être soi-même… Du mal-être identitaire et de son impact sur le comportement du personnage principal Réda qui passe de la soumission et du calme, à la rébellion et la violence nous parle la 2e partie du film qu’on peut qualifier par le tournant.

Etre ou ne pas être…
Réda, un jeune homme algérien, la trentaine, qui vit dans la maison familiale, avec un père ancien com-battant froid et autoritaire, un frère « rebelle » qui aime la musique, et surtout qui refuse qu’on lui dicte sa vie et qui finit pour quitter l’Algérie pour la France ,et une mère absente-présente, refusant l’autorité de son mari.
Issue de la bourgeoisie algérienne, Réda a été nommé dans un poste stratégique dans une société d’hydrocarbure que dirige son père… Jusque- là, tout va bien pour Réda (ou semble être) qui préparait son mariage, évidemment avec une fille bourgeoise choisie par son père, jusqu’au jour où tout bascule.
Les changements politiques que vit le pays ont bien impacté la vie de Réda qui ne peut pas continuer à travailler tant qu’il n’a pas accompli son service militaire. Pas d’intervention ni encore d’exception. Le père de Réda avoue que les manifestations ont chamboulé son plan et qu’il faut attendre que le pays se calme. Le réalisateur fait ainsi un clin d’œil au «Hirak», cette série de manifestations hebdomadaires qui ont lieu entre 2019 et 2021 en Algérie, contestant un système corrompu. 
Réda, rôle interprété avec justesse par Sammy Lechea, verra son existence bouleversée à la suite de plu-sieurs événements, surtout le décès de son père et l’agression physique et sexuelle qu’il a subie lorsqu’il est contraint d’effectuer son service militaire. Le film qui se veut dans sa première partie un récit familial abordant la relation père-fils et évoquant la question de la domination patriarcale prend très vite un autre tournant avec l’introduction de plusieurs éléments (fantaisie, violence, amour…)

Un effacé dans la tourmente…
En plein tourment, Réda fait la connaissance d’une restauratrice quadragénaire qui l’a aidé à surpasser ses plaies psychologiques. Le réalisateur Karim Moussaoui braque la lumière sur tant de zones d’ombre, soulevant tant de questions sociopolitiques, poussant son jeu jusqu’au bout, mettant encore du suspense sur les événements surtout avec l’incapacité de Réda de voir son visage dans le miroir. On ne comprend pas si c’est un problème de vision ou si c’est un problème mental ou psychologique ou encore  c’est de la métaphore dans le sens où Réda à force de lui dicter sa vie, son personnage s’est effacé… Le réalisateur laisse au spectateur la liberté d’interpréter cette scène clé du film où on voit le jeune homme couvrant les miroirs avec un drap… Le film commence avec un rythme lent qui simule le rythme de la vie de Read pour s’accélérer avec les changements qu’a connus et vécus Réda qui sombre du coup dans la violence. La musique accompagne et traduit toutes ces mutations que vit ce jeune Algérien qui n’est qu’un échantillon représentatif de ce que vit une partie de la jeunesse algérienne.
Le réalisateur fait des clins d’œil à tant de questions tels que le conflit des générations et des classes sociales, la société algérienne tiraillée entre l’être et le paraître (soirées clandestines mixtes le soir, conservatisme social le jour)… Misant sur l’ambiguïté narrative, mêlant les genres avec brio: du drame social à la chronique sentimentale et au thriller psychologique, Karim Moussaoui a réussi bien son film, un cri contre toutes les formes de l’effacement.
Il est à rappeler que le film a été tourné entre la Tunisie et l’Algérie et qu’il sortira en salles en 2025.

I. A.



Partage
  • 25 Avenue Jean Jaurès 1000 Tunis R.P - TUNIS
  • 71 331 000
  • 71 340 600 / 71 252 869