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Editorial : Made in tension … - Par Jalel HAMROUNI

Depuis le déclenchement de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sur fond des nouvelles lois de douanes imposées par Donald Trump, le monde observe avec inquiétude, l’érosion progressive des règles économiques qui avaient, jusque-là, assurée une relative stabilité mondiale. Loin d’être une simple querelle d’intérêts commerciaux, ce conflit reflète une remise en cause plus large de l’ordre mondial hérité de l’après-guerre, et soulève la question d’une recomposition des alliances géopolitiques à l’échelle planétaire.

La guerre commerciale a officiellement débuté en 2018, lorsque les États-Unis, sous prétexte de rééquilibrer une balance commerciale déficitaire et de défendre leurs industries, imposèrent une série de droits de douanes sur des centaines de milliards de dollars de produits chinois. Pékin répliqua rapidement par des contre-mesures. Ce bras de fer a depuis affecté non seulement les deux protagonistes, mais également l’ensemble des partenaires économiques intégrés dans les chaînes de valeur mondiales.

Les conséquences économiques sont bien connues: hausse des prix pour les consommateurs américains, ralentissement de la croissance chinoise, perturbation des marchés boursiers et tensions sur les marchés émergents. Mais l’essentiel se joue ailleurs: dans la transformation silencieuse mais décisive des équilibres géopolitiques.

L’unilatéralisme affiché par Donald Trump a ébranlé la confiance d’alliés historiques des États-Unis, notamment en Europe et en Asie. La remise en cause des accords multilatéraux, qu’il s’agisse du Partenariat transpacifique, de l’Accord de Paris sur le climat ou encore de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a mis en lumière une volonté délibérée de rompre avec la diplomatie traditionnelle et de substituer à la coopération, un rapport de force brutal et transactionnel.

Cette rupture a eu pour effet paradoxal d’accélérer des dynamiques alternatives. Des puissances régionales comme la Chine, la Russie ou l’Inde se sont rapprochées, non sans divergences, autour d’un discours contestataire vis-à-vis de l’ordre américain. L’Union européenne, bousculée par les menaces tarifaires et les désengagements américains, tente de renforcer sa propre autonomie stratégique, qu’il s’agisse de défense, de politique énergétique ou de régulation numérique.

Ainsi, à mesure que la politique étrangère américaine se replie sur elle-même, une constellation d’acteurs tente de dessiner les contours d’un nouvel ordre mondial, moins centré sur Washington, et plus ouvert à la multipolarité. Cette mutation reste fragile, et les ambitions chinoises suscitent, elles-mêmes, méfiance et crispations. Cependant, il est indéniable que la guerre commerciale a agi comme catalyseur, accélérant une dynamique de diversification des alliances, d’émergence de nouveaux pôles d’influence et d’émancipation vis-à-vis de l’hégémonie américaine.

L’ordre mondial anti-Trump, ou, plus largement, post-hégémonique, n’est pas une utopie lointaine. Il se construit discrètement, à travers des accords économiques comme le RCEP (Partenariat régional économique global), des partenariats technologiques en dehors des standards américains, ou encore des initiatives en matière de sécurité collective, comme l’Organisation de coopération de Shanghai.

L’histoire retiendra que la guerre commerciale n’a pas seulement été une guerre de taxes et de chiffres, mais avant tout un révélateur de la fin d’une époque: celle où l’économie mondiale reposait sur une confiance implicite envers le leadership américain. Le monde de demain sera, très probablement, plus fragmenté, mais peut-être aussi plus équilibré, si les nations parviennent à privilégier la coopération à l’affrontement.

Le défi, désormais, sera d’éviter que cette transition géopolitique ne dégénère en une nouvelle guerre froide, où la rivalité sino-américaine imposerait à nouveau sa logique binaire au reste du globe.

J.H.

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