Par Chokri BACCOUCHE
Trois mois à peine après la chute du régime de Bachar El-Assad, la Syrie bascule de nouveau dans la violence. Depuis jeudi dernier, des combats opposent en effet les «forces de sécurité de la Syrie nouvelle» à d’anciens loyalistes au régime déchu, principalement dans les régions de Lattaquié, Tartous et Homs. La majorité de ces combattants qu’on pourrait qualifier d’insurgés sont issus de la minorité ethnique des Alaouites, la communauté dont est issu l’ancien chef de l’Etat syrien. Les combats d’une rare violence ont fait au moins 124 morts, selon le dernier bilan, et la situation qui n’incite pas du tout à l’optimisme menace la stabilité précaire du pays d’Echam qui pourrait replonger dans les abîmes de la guerre civile. Selon toute vraisemblance, la blitzkrieg, menée dans le nord-ouest de la Syrie par ces contre-révolutionnaires qui comptent dans leur rang d’anciens miliciens et de soldats réguliers fidèles à l’ex-régime, n’est pas motivée par des considérations confessionnelles. Leur discours est plutôt axé sur l’opposition au pouvoir actuel qu’ils considèrent comme un produit d’un coup d’Etat. Il semble que l’action de ces insurgés est dictée par la peur d’être persécutés et il faut dire qu’ils n’ont pas tellement tort, car depuis le départ à l’exil forcé de Bachar El-Assad, les opérations de purge contre les anciens responsables du régime se sont succédé en Syrie. Pis encore, nombre d’entre ces derniers ont été même lynchés et exécutés sommairement sans aucune forme de procès. La peur d’être suppliciés a apparemment poussé donc ces anciens loyalistes à réagir et se défendre contre un danger bien réel qui menace leur intégrité physique.
La question qui se pose désormais avec insistance est de savoir si cette insurrection est un phénomène passager ou, au contraire, un soulèvement appelé à s’installer dans une durée indéterminée avec le risque de réveiller au passage les démons de la guerre civile qui a ravagé le pays durant la dernière décennie. S’il est prématuré voire difficile de répondre à cette question avec précision, les données actuellement disponibles n’incitent pas du tout à l’optimisme. La raison en est que ces insurgés ne descendent pas de la dernière pluie comme on dit. Formés pour la plupart par d’anciens miliciens et de soldats de l’armée régulière de Bachar El-Assad, ils sont non seulement aguerris mais rompus également aux tactiques militaires. Ils ont donné d’ailleurs la preuve de leur efficacité combative lors de la récente opération au cours de laquelle ils ont réussi à s’emparer de pas moins de quatre bases militaires qu’ils ont évacuées peu de temps après. Il est clair qu’avant de partir, ils ont pu y prendre du matériel, des véhicules, des munitions et des armes qu’ils ont certainement cachés dans la zone montagneuse environnante connue pour ses nombreuses vallées, petits villages, hameaux et grottes.
A partir de là, on peut facilement imaginer le reste, c’est-à-dire que ces insurgés pourraient être tentés de prendre le maquis pour mener une guérilla contre le pouvoir en place qui n’est pas d’ailleurs au bout de ses peines. Sitôt installé dans les circonstances que tout le monde connait désormais, le président intérimaire syrien, Joulani, est d’ores et déjà confronté à une grave crise qui menace la stabilité fragile de son régime dans un pays pluriethnique qui est encore loin d’être sorti de l’ornière. Le nombre impressionnant d’hommes et de matériel militaire dépêchés sur le terrain des opérations pour contrer l’offensive des insurgés confirme d’ailleurs le désarroi du pouvoir de la «Syrie nouvelle» qui craint certainement que ce mouvement contre-révolutionnaire ne fasse tache d’huile et se propage à travers tout le pays avec les conséquences potentiellement désastreuses qu’on pourrait facilement imaginer.
Le scénario post-Saddam Hussein de 2003 en Irak est-il en passe d’être réédité en Syrie? Il y a tout lieu de le penser. La chute de Bachar El-Assad semble avoir ouvert en effet une véritable boite de pandore où s’entremêlent et s’entrechoquent des revendications indépendantistes et ethniques des uns sur fond de convoitises et de lutte pour le leadership de certaines puissances régionales et internationales. En toile de fond de ce capharnaüm, il faudrait ajouter bien évidemment les velléités déstabilisatrices de l’entité sioniste qui s’est emparée de larges pans du territoire syrien qu’elle ne compte pas rétrocéder. Fidèles à leur politique de la terre brûlée et de l’anarchie constructive, chère aux néoconservateurs américains, les dirigeants sionistes cherchent à précipiter le démembrement du pays pour des raisons bassement expansionnistes.
Autant dire que les scénarios les plus pessimistes sont désormais envisageables au pays d’Echam qui n’a pas fini de sitôt de tirer le diable par la queue. Et qui risque, en fait, d’entraîner dans sa descente folle aux enfers de l’incertitude et de l’instabilité tout le Moyen-Orient. Oubliée des dieux et éternel théâtre de la voracité et de la folie des hommes, la région va certainement continuer à concentrer tous les heurts et les malheurs de l’humanité pour un bon bout de temps encore. C’est malheureux de le constater, mais c’est vraiment le cas de le dire…
C.B.