Par Hassan GHEDIRI
Le gouvernement Kamel Maddouri croit trouver une solution radicale et juteuse au problème des déchets du phosphate. Les millions de tonnes de phosphogypse rejetées par les usines de phosphates à Gabès et Sfax cesseront apparemment d’être un fardeau environnemental.
D’après le communiqué publié par la Kasbah à l’issue du Conseil ministériel tenu jeudi 6, le phosphogypse sera définitivement retiré de la liste noire des polluants industriels toxiques pour se convertir en une ressource économique à haute valeur ajoutée. Il s’agit d’un projet phare du plan quinquennal (2025-2030) visant à redynamiser l’industrie du phosphate en Tunisie.
Rejet très polluant de l’industrie des phosphates, le phosphogypse est stocké en quantités colossales près des sites industriels. Suscitant pendant des décennies de grandes craintes écologiques et sanitaires, il semble aujourd’hui promettre d’incalculables opportunités économiques. Pour un pays aux ressources limitées, sa réhabilitation pourrait ouvrir des perspectives inédites, à condition d’en maîtriser les risques.
Le phosphogypse, résidu granuleux et légèrement radioactif issu de la production d’acide phosphorique, s’accumule depuis des décennies en Tunisie. Selon plusieurs estimations, plus de 20 millions de tonnes s’entassent aujourd’hui à ciel ouvert dans les sites de transformation de phosphate, principalement comme à Sfax ou Gabès, Sa dangerosité est due à la présence de métaux lourds (cadmium, plomb) et de radionucléides.
Traité et purifié, le phosphogypse peut, en effet, servir de supplément agricole pour les sols acides ou salins, un enjeu crucial en Tunisie où 60 % des terres cultivables sont dégradées. Riche en calcium et en soufre, il améliore la structure du sol et favorise l’absorption des nutriments par les plantes. Des essais menés en Europe et aux États-Unis montrent des résultats prometteurs sur les rendements de céréales, sous réserve de contrôler strictement sa teneur en contaminants. Pour la Tunisie, qui importe chaque année des centaines de milliers de tonnes d’engrais, cette piste permettrait de réduire la facture agricole tout en recyclant localement un résidu.
Trésors cachés
Dans le secteur de la construction, le phosphogypse peut également contribuer à la réduction des coûts à travers diverses applications. Mélangé à d’autres matériaux, le phosphogypse peut être transformé en panneaux de plâtre, en briques ou en ciment, comme le fait la Chine avec près de 30 % de son phosphogypse produit. En Tunisie, où le secteur du BTP représente 7 % du PIB, son utilisation pourrait abaisser les coûts des matériaux et aider, à moyen et à long termes, à la rationalisation des prix des logements.
La vraie révolution pourrait venir de la valorisation des terres rares contenues dans le phosphogypse. Des études internationales indiquent que chaque tonne de ce résidu renferme jusqu’à 0,5 kg d’éléments rares (uranium, cérium, yttrium), indispensables aux énergies vertes (éoliennes, panneaux solaires) et à l’électronique. Si la Tunisie parvenait à mettre en place des technologies d’extraction propres, elle pourrait se positionner sur un marché stratégique dominé par la Chine.
Nombreux sont toutefois les défis qui se présentent dans cette perspective de valorisation de ce déchet. La toxicité du phosphogypse est avérée et a été démontrée par plusieurs études. Elle impose, donc, pour la Tunisie une régulation drastique. Sans normes strictes et claires sur son traitement (lavage des métaux lourds, contrôle de la radioactivité), son exploitation industrielle risquerait d’aggraver son désastre écologique et sanitaire dans les régions qui peinent à se débarrasser de ses nuisances.
La reconversion du phosphogypse ne se présente pas uniquement comme une solution de recyclage pour un déchet encombrant. Elle constitue aussi et surtout une solution pour réconcilier industrie et écologie, dans un secteur minier souvent accusé de privilégier l’intérêt commercial au détriment de l’environnement et de la santé publique.
H.G.