Par Chokri BACCOUCHE
La reconfiguration en cours des équilibres géostratégiques et de la carte du Moyen-Orient aura-t-elle un effet direct sur les pays de l’Afrique du Nord? De nombreux observateurs avertis n’écartent pas cette hypothèse et s’accordent à penser, malheureusement, que cette sombre perspective pourrait survenir beaucoup plus vite qu’on ne le pense. Après la chute du régime de Bachar Al-Assad, considéré comme la dernière citadelle contre les sombres desseins tracés par les architectes du «Grand Moyen-Orient», la région maghrébine risque de se retrouver, à son tour, au cœur de cette déferlante déstabilisatrice. On sait que la Libye voisine fait l’objet de convoitises pour ses immenses richesses énergétiques. L’ancienne Jamahiriya, en proie à une guerre civile depuis le renversement de Mouammar Kadhafi, n’a pas renoué avec la paix et la stabilité. Les rivalités fratricides entre le gouvernement de Tripoli de Abdelhamid Debaiba et le maréchal Haftar, patron de la Cyrénaïque pour le contrôle du pouvoir, ont fini par jeter le pays dans la gueule du loup. Résultat des courses: la Libye se retrouve aujourd’hui dans l’antichambre d’un morcellement ou d’un découpage planifié de longue date par les architectes de l’anarchie constructive. Tous les ingrédients sont malheureusement réunis actuellement pour concrétiser ce projet qui risque de plonger notre voisin du sud dans les affres de l’incertitude la plus absolue et pour très longtemps.
Pour les mêmes raisons et les mêmes visées, l’Algérie pourrait subir le même sort. Les convoitises qui entourent les richesses énergétiques immenses de ce pays ne font pas mystère. A cela il faudrait ajouter, bien évidemment, l’«insubordination» du régime algérien qui s’est distingué, aux yeux de l’Occident, par ses positions politiques un zeste «révolutionnaires» et son refus obstiné de «rentrer dans les rangs». Le rejet par l’Algérie de toute normalisation de ses relations avec l’entité sioniste dans le cadre des fameux Accords d’Abraham semble avoir boosté encore plus l’animosité éprouvée à son égard par les tenants du nouveau «désordre mondial». Quelque peu grisés par le succès, providentiel et inattendu, il faut le reconnaître, qui fait suite à la chute de Bachar Al Assad, ces derniers pourraient considérer cet événement comme une opportunité à ne pas rater pour finaliser la concrétisation de la deuxième partie du projet du « Grand Moyen-Orient».
Ce complot funeste risque également de ne pas épargner la Tunisie. Certes, notre pays ne dispose pas – fort heureusement — de richesses énergétiques notables et connaît même de grandes difficultés économiques mais sa position géostratégique dans une région très convoitée en fait une cible potentielle. Les positions courageuses du pouvoir tunisien favorable à l’émergence d’un nouvel ordre mondial plus équilibré et juste, particulièrement envers les pays les plus vulnérables, lui ont valu des animosités certaines de la part de ceux qui tiennent, par tous les moyens, à maintenir le statu quo et garder à tout prix leur leadership mondial.
Le sage, dit l’adage, est celui qui sait anticiper sur l’avenir et prendre les dispositions nécessaires pour se prémunir contre les effets pervers de cette déferlante déstabilisatrice à visées géopolitiques et hégémoniques. Partant de ce principe élémentaire, la voie de salut pour les pays de la région passe par la mobilisation à tous les niveaux et le resserrement des rangs. L’annonce, récemment, du renforcement de la coopération militaire entre l’Algérie et la Tunisie, d’une part, et entre la Tunisie et la Libye, d’autre part, est un bon signe qui incite à l’optimisme. Cette initiative de bon aloi s’inscrit en fait dans la logique des choses face à la montée des périls et des défis, à bien des égards existentiels. Sans verser dans l’alarmisme, les pays maghrébins se retrouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. C’est dans l’unité, la coopération active particulièrement dans le domaine sécuritaire et la mobilisation tous azimuts de leurs forces vives qu’ils pourront préserver les attributs de leur souveraineté et de leur indépendance. Tous les moyens doivent être en fait mis en œuvre pour faire avorter ce vil projet de recolonisation rampante de nos contrées. Nos ancêtres qui ont réussi à briser les chaînes de la servitude en consentant d’énormes sacrifices pour libérer les pays de la région de la colonisation, montrent à cet effet la voie à suivre. Pour maximiser les chances de s’en sortir à bon compte, il n’y a pas d’autre alternative que de se serrer les coudes en front uni et faire preuve de discipline, d’abnégation et de veille de tous les instants. L’avenir des pays de la région dépend, dans une large mesure, de leur capacité de s’adapter, dans la célérité requise, au nouveau contexte géopolitique international dans un monde plus que jamais régi par la loi de la jungle et qui fait peu de cas pour les plus vulnérables…
C.B.