Par Hassan GHEDIRI
Au mois de décembre, le taux d’inflation s’est établi à 6,2% confirmant la tendance baissière constatée par l’INS durant les douze mois écoulés.
Très attendus par les analystes et l’ensemble des intervenants dans la sphère économique nationale, les bulletins du dernier trimestre de l’année diffusés par l’Institut national de la statistique (INS) sont généralement considérés comme l’outil ultime qui permet de comprendre l’évolution des indicateurs fondamentaux de la conjoncture économique et d’anticiper leurs tendances futures. Le premier indicateur rendu public en ce début de janvier par l’INS est celui de l’inflation qui a vu son taux reculer de 0,4 point durant les deux derniers mois de l’année écoulée, passant de 6,6% en novembre à 6,2% en décembre. Durant toute l’année 2024, l’inflation que les spécialistes définissent par «la hausse généralisée est durable des prix des biens et services» s’est établie à 7% contre une moyenne annuelle de 9,3% enregistrée au cours de 2023.
Le gouvernement Maddouri, qui entame une année 2025 dans un épais brouillard d’incertitudes nationales, régionales et internationales, devrait se féliciter de la «bonne nouvelle» annoncée par l’institut de la statistique. 7% est en effet la moyenne annuelle que l’inflation n’avait plus connue en Tunisie depuis 2021. Cette tendance doit naturellement être le reflet d’une baisse des prix sur l’ensemble des produits composant le panier des ménages tunisiens. Sauf que ceci est loin d’être le cas parce que, concrètement, la baisse de l’inflation annoncée par l’INS reste inaperçue par les Tunisiens. D’ailleurs, dans son bulletin, l’autorité de la statistique explique que le repli observé en décembre 2024 est dû principalement au fléchissement du rythme annuel d’augmentation des prix du groupe «produits alimentaires» (7,2% en décembre 2024 contre 8,5% en novembre 2024). D’autre part, l’institut note la stabilité de l’inflation dite «sous-jacente» au niveau de 6,3%. Pour la calculer, l’NS exclut les prix soumis à l’intervention de l’Etat, c’est-à-dire les produits encadrés, en l’occurrence l’énergie et le tabac. En passant de 9,3% en 2023 à 7% en moyenne annuelle en 2024, l’inflation est donc en perte de vitesse d’après ce que font ressortir les données de l’INS. Mais pourquoi les Tunisiens, qui ne croient globalement pas trop à la chute de l’inflation, ne constatent pas une baisse des prix?
La prudence est de mise
Les Tunisiens sont en effet dubitatifs et sceptiques parce que, tout simplement, ils continuent à payer de plus en plus cher leurs achats chaque fois qu’ils vont faire leurs courses dans le marché des légumes ou dans les grandes surfaces. Mongi Mokaddem, ancien professeur d’économie à l’université de Tunis El Manar, pense qu’il faut toujours prendre avec beaucoup de précaution les taux d’inflation annoncés par l’INS. «Si l’on observe le panier auquel se réfère l’INS pour établir son indice des prix à la consommation familiale (IPC), on peut aisément constater que tous les produits de consommation de première nécessité ont vu leur prix augmenter», souligne notre interlocuteur. En fait, l’INS emploie une méthodologie classique selon laquelle l’IPC synthétise, en un seul chiffre, la variation dans le temps du coût d’un panier constant de biens et services représentatifs des achats d’un ménage tunisien en accordant à chaque produit l’importance qu’il a dans le budget du consommateur. Et c’est justement cette combinaison d’un certain nombre de paniers composés d’une large liste de produits (plus de 720 produits composent le panier de référence employé par l’INS) qui pose problème selon Mokaddem. Il estime en effet que la structure de pondération et la représentativité de la population sur lesquelles sont effectuées les enquêtes sur le budget et la consommation des ménages nécessitent la révision. Il faut néanmoins souligner que c’est un problème qui ne concerne pas uniquement l’INS, mais qui fausse énormément les données des grandes institutions de statistiques dans le monde, dixit notre interlocuteur. Etant un indice établi selon ce qui est prétendu être le budget et la consommation d’un Tunisien moyen, cela compromet, toujours d’après Mokaddem, la fiabilité des résultats obtenus parce que réellement «le Tunisien moyen» n’existe pas. «La vérité c’est qu’une partie écrasante de la population tunisienne se moquera de celui qui prétend que l’inflation est en perte de vitesse aujourd’hui dans notre pays», affirme Mokaddem qui pense qu’il faut être très prudent lorsqu’il s’agit d’analyser le taux d’inflation et l’indice des prix à la consommation. Et de conclure: «Personne ne croira aujourd’hui l’INS lorsqu’il prétend que l’inflation est en baisse parce que cela signifie que les prix des produis sont en train de baisser».
H.G.