Par Habib Missaoui
Alors que le recours à la chirurgie esthétique est en train de se démocratiser, le risque de tomber entre les mains de praticiens peu scrupuleux est bien réel. Que dit la loi et comment faire face à ce trafic?
Même si la Tunisie est une destination privilégiée pour la chirurgie esthétique, en raison de la compétence de ses chirurgiens, de ses cliniques à la pointe de la technologie offrant une sûreté sanitaire remarquable, les dernières affaires portant sur un vaste trafic du Toscani Ncpr ou du Botox périmé risquent bel et bien de nuire à cette réputation.
Etudiante en droit en France et en Espagne, Ines Ammous s’est penchée sur cette question en analysant l’évolution législative contre la chirurgie esthétique clandestine en Tunisie, mais aussi dans le monde, notamment en Amérique latine, tient à rappeler que «la chirurgie esthétique tend à modifier l’apparence corporelle d’une personne, à sa demande, sans visée thérapeutique ou reconstructive.
A partir de cette définition, on est amené à poser la question suivante: l’acte du chirurgien plasticien et précisément celui à visée esthétique est-il un acte de soins? En effet, selon Imen Adhoum, assistante à la faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis, une tendance jurisprudentielle et doctrinale en droit comparé ainsi qu’en droit tunisien considèrent que l’acte opéré par un chirurgien plasticien est un acte de pur confort, car dépourvu de finalité thérapeutique. Mais selon une doctrine dominante, le caractère curatif de cet acte existe bel et bien, il s’agit d’une prestation de santé et son sujet est un patient. La prestation de chirurgie esthétique demeure un acte chirurgical ne pouvant être accompli que par un praticien compétent même si le but de cette intervention n’est pas curatif. Les raisons psychologiques qui conduisent, en effet, le patient à l’intervention vont servir de contrepoids à l’absence de caractère curatif (Arrêt civil de la Cour de cassation française du 5/02/2014). Le chirurgien doit faire ce bilan et renoncer à l’opération si les risques sont hors de proportion avec le résultat escompté, et c’est pour cela qu’en droit comparé (Droit français, Droit belge…) on parle d’obligation de moyens renforcée. Pour faire face à certaines dérives et afin de responsabiliser le praticien, la jurisprudence tunisienne n’a pas hésité, ainsi, à reconnaître l’existence d’une obligation de sécurité de résultat dans l’utilisation de l’appareillage dans l’exercice de son art».
Ces charlatans qui détournent la médecine esthétique…
Aussi bien en Tunisie que dans le monde, des victimes des réseaux clandestins de la chirurgie esthétiques sont régulièrement signalées. Le cas de la Mexicaine Marisela Castillo, révélé par la presse internationale, est l’exemple de ces dérives. Marisela a subi des injections dans certaines parties de son corps qu’elle n’aimait pas. Marisela explique qu’elle y est retournée plusieurs fois parce que la femme qui lui a fait les injections l’a convaincue qu’elle en avait besoin de plus, de plus en plus...
Marisela a dépensé plus de 12.000 pesos (environ 700 euros) en injections. Ce que la pseudo-esthéticienne, sans formation professionnelle, lui avait administré était en fait de la silicone mélangée à de l’huile alimentaire. Au fil des années, l’inflammation s’accentue et la douleur devient de plus en plus violente. Marisela demande l’aide d’un chirurgien d’esthétique, qui refuse de la soigner et la renvoie chez elle, déclarant: «Ce que vous avez injecté vous tuera». Cette affaire a contraint les autorités mexicaines à envisager des réformes législatives pour lutter contre la chirurgie esthétique clandestine au Mexique (2023-2024), «Cette réforme vise à garantir que seuls des médecins certifiés et spécialisés en chirurgie plastique peuvent pratiquer ces interventions, ce qui est crucial pour éviter de graves complications et protéger la santé des patients. Ces mesures comprennent la fermeture des cliniques qui ne respectent pas les règles sanitaires et ne disposent pas de la certification appropriée», nous dira Ines Ammous. Et d’ajouter: «Cette étape est très positive, car elle démontre l’engagement du pays à protéger ses citoyens des risques liés aux cliniques irrégulières. Avec l’intervention de la COFEPRIS et d’autres autorités, l’objectif est de réduire le nombre de cliniques clandestines qui fonctionnent sans licence et proposent des traitements dangereux à faible coût.
La législation proposée renforce la nécessité de professionnaliser le secteur de la chirurgie esthétique, en protégeant à la fois les résidents locaux et les touristes qui cherchent ces procédures au Mexique. Seuls les médecins titulaires d’un diplôme ou d’un certificat de spécialité pourront pratiquer la chirurgie esthétique ou reconstructive, précise la Chambre des députés».
En mai 2023, le gouvernement mexicain a, par ailleurs, réformé la Loi générale sur la santé pour lutter contre les chirurgies esthétiques clandestines et protéger les patients. La réforme comprend la création de l’article 348 Bis, qui établit que seuls les médecins spécialisés et certifiés en chirurgie esthétique peuvent réaliser des interventions chirurgicales esthétiques et reconstructives. Ce changement vise à réduire les risques associés aux interventions chirurgicales mal réalisées par du personnel non qualifié, qui ont entraîné de nombreuses complications et même des décès au Mexique. En 2024, les réformes continuent d’avoir un impact positif sur la réglementation de la médecine esthétique au Mexique, la Chambre des députés discutant de nouvelles réformes pour renforcer davantage la loi générale sur la santé.
Ces réformes visent à limiter de manière permanente la réalisation d’interventions esthétiques aux seuls médecins possédant un diplôme spécifique, et à établir des sanctions pénales plus sévères pour ceux qui exploitent des cliniques clandestines. Pour Ines Ammous: «En tant que jeune génération de juristes, nous avons le devoir de sensibiliser les gens aux risques des chirurgies esthétiques clandestines. Il est essentiel de savoir quand on recourt à la chirurgie esthétique, nous devrons choisir soigneusement où la faire et, surtout, de prendre la décision par soi-même, sans subir la pression des normes sociales. La santé et le corps sont inestimables, et les confier à des cliniques non certifiées peut avoir des conséquences irrévocables. En outre, il est encourageant de voir comment un pays comme le Mexique a mis en œuvre des réformes juridiques, telles que les amendements de la Loi générale sur la santé en 2023, qui exigent que seuls des médecins spécialisés peuvent effectuer ces procédures. Ces lois constituent des étapes cruciales pour protéger les citoyens des pratiques dangereuses. Nous espérons que le Mexique et le reste du monde continueront à avancer dans cette direction, projetant une plus grande sécurité dans le domaine de la chirurgie esthétique et servant d’exemple aux autres pays d’Amérique latine et du monde».
H. M.