Par Chokri BACCOUCHE
Et ce que l’on craignait le plus est malheureusement arrivé : trois jeunes élèves ont trouvé la mort avant-hier dans l’effondrement du mur de leur école à Mezzouna dans le gouvernorat de Sidi Bouzid. Trois jeunes bourgeons à l’aube de la vie ont été ravis à l’affection de leurs parents, leurs amis et leurs proches. Le drame est kafkaïen et le choc émotionnel est intense, atroce et déchirant. Dans la Tunisie du 21ème siècle, les jeunes à la fleur de l’âge meurent bêtement. Parce qu’ils se sont trouvés au mauvais endroit, au mauvais moment et surtout, surtout à cause de la négligence. La perte cruelle de ces élèves n’est pas seulement un coup de la fatalité et du mauvais sort. Oh que non! C’est plutôt un mauvais coup du laisser-aller, du «je m’en foutisme», du laxisme et de l’irresponsabilité. Celle de nos responsables chargés du secteur éducatif dont l’infrastructure tombe tellement en désuétude qu’elle est devenue un piège mortel. Les médias et la société civile ne cessent depuis des années d’attirer l’attention sur la situation catastrophique d’un nombre incalculable d’écoles, collèges et autres lycées. Ces dernières années, les incidents et les accidents dus à l’effondrement qui du pan entier d’un toit ou d’un mur dans tel ou tel établissement éducatif se sont multipliés à un rythme fou. C’était des coups de semonce qui auraient dû alerter en principe les autorités compétentes et les pousser à agir dans la célérité et la promptitude requise pour sauver les meubles avant qu’il ne soit trop tard et éviter ainsi l’irréparable. Malheureusement, il n’en fut rien. Une fois l’alerte passée, tout le monde retourne à ses occupations coutumières comme si de rien n’était. Seulement voilà, la négligence à la longue tue. On feint d’ignorer que le pan du toit qui s’est affaissé sur le sol a des effets domino que tout esprit normalement constitué se devait d’interpréter en principe comme le signe avant-coureur d’un proche effondrement total de toute la structure qui peut intervenir à tout moment.
Le comble c’est que personne n’a pris conscience de ce grave danger. C’est tout juste qu’on évoque de temps à autre le problème et c’est tout. On en parle par acquis d’un smig infime de conscience, juste pour marquer le coup, mais sans agir et réagir véritablement pour remédier au mal à la racine. Pourquoi toute cette effroyable négligence alors qu’il y va de la vie des occupants des établissements éducatifs? Mystère et boule de gomme. On nous gave de faux prétextes à longueur d’année du genre manque de budget. Un alibi irrecevable et inacceptable qui revient d’ailleurs comme un leitmotiv dans le discours des officiels à chaque fois que le sujet est évoqué. Et pour mieux convaincre les protestataires, on leur débite les sempiternelles promesses que tout va rentrer dans l’ordre incessamment et que les réparations nécessaires seront entreprises dans les plus brefs délais. Des promesses sans lendemain bien sûr car, chez nous, les projets d’intérêts publics sont vite légués aux oubliettes peu de temps après avoir été annoncés en grande pompe.
Manque de budget ? Il y a vraiment de quoi rire aux larmes. Des larmes de tristesse, d’amertume et de consternation. La perte tragique de ces trois élèves à l’aube de leur existence et promis peut-être à un bel avenir est non seulement bouleversante mais également révoltante. Révoltante, parce qu’en Tunisie, on trouve toujours les moyens pour ramener un guignol pour se produire sur la scène de l’amphithéâtre de Carthage dont le cachet se chiffre à plusieurs milliers de dollars, mais on n’a pas d’argent pour réparer une école, une route ou une autoroute défectueuse. On a les moyens pour importer des produits futiles et superflus ou des voitures rutilantes, mais on n’a pas d’argent pour importer les médicaments nécessaires pouvant soigner les patients atteints de maladies graves. Le grand paradoxe chez nous c’est que l’accessoire passe avant le nécessaire et l’essentiel. Le clientélisme et le favoritisme l’emportent sur les intérêts suprêmes de l’Etat et de la collectivité. Les mauvais réflexes ayant la peau dure, les mêmes pratiques sournoises et vicieuses persistent malheureusement. Et pour ne rien arranger les choses, la corruption à grande échelle, devenue un véritable sport national, ferme cette marche funeste vers l’inconnu et l’incertitude la plus absolue.
C’est ce désordre pour ne pas dire ce sacré fatras… dans l’ordre des priorités et cette incurie révoltante qui nous valent aujourd’hui cette tragédie qui a endeuillé des familles, choqué l’opinion publique et généré des troubles à l’ordre public. Le drame a provoqué en effet une grande colère des habitants de la région qui ont décidé de manifester, hier, à l’issue du cortège funèbre des trois jeunes victimes de cette catastrophe. Des vidéos publiées par des internautes montrent des citoyens de tout âge marchant dans les rues, où plusieurs pneus ont été incendiés. Déchirés par la douleur, certains manifestants criaient de dépit alors que d’autres sifflaient pour exprimer leur tristesse et leur indignation. Le drame est kafkaïen et la douleur est insupportable mais il s’agit aujourd’hui d’agir en conséquence et prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’une telle tragédie ne se reproduise plus à l’avenir et faire répondre de leur négligence tous ceux qui sont impliqués, directement ou indirectement, dans cet incident gravissime…
C.B.