Par Chokri BACCOUCHE
D’où est-ce qu’on peut piocher le savoir ? De la tête d’une tortue, comme le disent nos ancêtres dans un de leurs célèbres adages pour tourner en dérision les idées bizarroïdes voire saugrenues de ceux qui prétendent détenir la science infuse. Et à ce titre, on peut vraiment dire que l’ambassadeur des Emirats à Washington est bien placé pour rafler la Palme du plus grand bêtisier. En effet et au moment où l’écrasante majorité des dirigeants de la planète ont exprimé leur rejet catégorique du fameux plan de Trump de prendre le contrôle de Gaza et de déplacer les Palestiniens, Yousef al-Otaiba, lui, n’y voit aucune objection. Pis encore, il a déclaré, pince sans rire, qu’il n’y a pas d’autre alternative à la proposition du président américain. Mille millions de mille sabords, comme dirait le capitaine Haddock, célèbre héros d’une bande dessinée. Le monde entier est contre, le monde entier s’est levé comme un seul homme pour critiquer et dénoncer ce projet, mais le diplomate émirati pense qu’il n’y a pas une autre solution de rechange. Premier pays à avoir normalisé ses relations avec Israël dans le cadre des fameux Accords d’Abraham», les Emirats semblent plus soucieux de préserver leur nouvelle idylle avec Washington et Tel-Aviv que d’afficher une position hostile au projet américano-sioniste. Ils le font d’ailleurs avec beaucoup de zèle et d’application qui reflètent une certaine complaisance voire une subordination vis-à-vis de leurs alliés américains et israéliens.
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, les déclarations du diplomate émirati à Washington s’inscrivent en porte-à-faux par rapport à la position officielle de cette monarchie du Golfe. A la faveur d’un récent appel téléphonique du secrétaire d’Etat américain, Marco Rubio, le président des E.A.U, Mohamed Ben Zayed, a souligné «l’importance d’œuvrer en faveur d’une paix juste et globale au Moyen-Orient, garantissant la sécurité et la stabilité pour tous sur la base de deux Etats», rapporte l’agence de presse officielle des Emirats, Wam. Ces déclarations contradictoires entre le chef de l’Etat émirati et son ambassadeur washingtonien prêtent à confusion et suscitent beaucoup de questions. S’agit-il d’une mauvaise coordination entre l’Exécutif émirati et son diplomate en poste aux Etats-Unis ou un avis personnel de ce dernier qui n’engage donc que lui-même? On doute fort en tout cas que Yousef al Otaiba ait pris l’initiative de se prononcer sur une question aussi sensible sans se référer à ses supérieurs. Apparemment, les dirigeants du pays se sont retrouvés entre deux feux. Autant ils cherchent à ne pas courroucer leurs alliés américains et israéliens, autant ils veulent éviter de s’aliéner le reste du monde et plus particulièrement les pays arabes en prenant une position officielle favorable au plan de Trump qui pourrait être considérée comme un acte de haute trahison envers la Cause palestinienne.
Cette attitude du clair-obscur entre deux chaises n’arrange pas beaucoup les choses, il faut le reconnaitre, pour Abou Dhabi. La Maison Blanche, qui cherche par tous les moyens à inciter le maximum de pays à adhérer au plan de son locataire président, de gré si possible, par les menaces et l’intimidation si nécessaire, ne manquera pas d’exercer davantage de pressions pour contraindre les Emirats à adopter une position plus franche. Pierre Perret, célèbre artiste-compositeur, a mille fois raison: «Le type qui a le cœur sur la main et le c… entre deux chaises ne peut que finir à l’hôpital», disait-il. C’est ô combien vrai surtout quand il s’agit d’une question aussi cruciale et existentielle qui peut déterminer l’avenir de tout un peuple et qui place, par conséquent, tous les pays devant leurs responsabilités historique et morale.
Il n’y a pas de «ni, ni» qui vaille pour le cas d’espèce. Il faut avoir le courage d’admettre et de crier haut et fort que le plan de Trump pour Gaza est non seulement un déni et une violation flagrante de la justice et de la légalité internationale, mais également un vol caractérisé d’un territoire palestinien, digne de la pègre de la pire espèce. Si le vrai et le mensonge, en politique, portent le même pagne, le juste et l’injuste marchent de pair, le bien et le mal s’achètent et se vendent au même prix, dixit l’écrivain ivoirien Ahmadou Kourouma, c’est aux hommes de valeur réellement libres qu’incombe la responsabilité de lutter contre le mal pour faire triompher la justice et le droit. Il y va du salut et de l’avenir de l’ensemble de l’humanité…
C.B.