Ce n’est point un hasard si la Tunisie a misé, dès l’aube de son indépendance, sur le secteur de la santé publique, considéré par Habib Bourguiba comme un garant du développement du pays à tous les niveaux, sachant que toute œuvre ne peut réussir qu’en présence d’un potentiel humain sain.
Or, s’agissant d’un secteur stratégique qui dépend des orientations majeures de l’Etat, celui de la santé a connu, depuis 2011, la même dégringolade que les autres domaines vitaux avec des hôpitaux de plus en plus vidés et quasiment délaissés, des services défaillants et un personnel qui se réduit, de jour en jour, comme une peau de chagrin.
Et si, pendant près de quatorze ans, les problèmes, les scandales et les affaires louches se succèdent, on a toujours fait de sorte qu’on les range dans les tiroirs et qu’on n’en parle que lorsque d’autres catastrophes arrivent. De ce fait, le débat à propos de la triste réalité dans nos hôpitaux publics et de la politique sanitaire de l’Etat refait toujours surface sans qu’on prenne la peine de l’analyser, d’en tirer les enseignements qu’il faut et de mettre une place une politique plus efficace, plus juste et plus soucieuse des besoins vitaux de la population.
Certes, le budget alloué au ministère de la Santé a connu une hausse de 30,9% au cours des cinq dernières années, pour atteindre cette année 3 660 millions de dinars, mais ces chiffres ne veulent guère dire que la santé est en train de bénéficier d’une plus grande attention puisque la majorité de ce budget est réservé au paiement du personnel et la gestion de l’administration (près de 87%) et ne réserve que des miettes pour promouvoir de nouvelles méthodes de soins ou pour acquérir plus de matériel médical sophistiqué.
Il est vrai que l’Etat est dans l’obligation d’imposer une certaine austérité à tous les niveaux, mais il fallait savoir où mettre les pieds lorsqu’il s’agit de santé publique car tout essor, toute œuvre et tout effort pour aller de l’avant est tributaire de la disponibilité du facteur humain, donc de la santé des citoyens.
Selon les chiffres publiés par l’Institut national de la statistique (INS), la population a augmenté, au cours des dix dernières années, d’environ un million d’habitants, mais les structures de santé publique ne se sont pas développées proportionnellement à cette croissance démographique. Au cours de la dernière décennie, aucun nouvel hôpital public n’a été construit, ce qui est à peine croyable pour un pays comme la Tunisie qui se vante de donner une priorité absolue à ce secteur. Le pays en compte, en effet, 23 hôpitaux pour plus de 11,5 millions d’habitants, tandis que les instituts et centres de santé spécialisés ont enregistré une baisse, passant de 21 en 2008, à 11 en 2021.
Loin de ces chiffres à peine croyables, c’est au niveau des services fournis à l’intérieur de nos institutions sanitaires que le bat blesse. Avec un personnel de moins en moins fourni et une infrastructure vieillissante et dépassée à tous les niveaux, il est tout à fait normal de constater cette dégringolade au niveau des soins, de l’accueil, des examens approfondis en plus du manque d’équipement de grande nécessité comme les scanners et le matériel de radiologie. D’ailleurs, dans certains grands hôpitaux, la panne d’un scanner dure parfois des mois et les malades qui doivent y passer sont orientés vers d’autres lieux de soins avec une durée d’attente de quelques mois, ce qui est vraiment désolant car on peut laisser des gens mourir à cause de ces indispensabilités que le manque de budget ne peut en aucune sorte justifier.
Et si, aujourd’hui, des milliers de médecins ont préféré partir à l’étranger pour jouir de meilleures conditions matérielles et morales, cela ne justifie pas ce qui se passe tous les jours dans nos hôpitaux, de manière à encourager ceux qui en ont les moyens de trouver refuge auprès des cliniques privées et de priver les moins nantis des soins peu coûteux dans les hôpitaux.
Tout cela sans parler d’autres facteurs qui sèment de plus en plus la zizanie dans nos hôpitaux, comme la violence et le manque de conditions de sécurités avec des institutions sanitaires abandonnées à leur sort, incitant le personnel à garder les bureaux ou, tout simplement, à refuser de travailler dans de telles conditions.
Et si, aujourd’hui, des exploits médicaux sont réalisés dans certains de nos grands hôpitaux, comme ceux de Sousse, de Tunis ou de Monastir, il faut tout simplement s’incliner, chapeau bas, devant de telles performances à peine croyables dans les conditions actuelles du travail sanitaire par l’intermédiaires d’un personnel médical déterminé à défier ces difficultés et à prouver la haute compétence de nos médecins.
K.Z.