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Chronique j’ai lu - Par Amna Atallah Soula : HAJJEM SOUK LBLAT ; LE BARBIER DE SOUK LBLAT, Tome 1, aux grés des passions De HASSANIN BEN AMMOU

L’auteur énonce deux citations. Elles illustrent la pensée qu’il s’est assigné dans cette œuvre relatant les mœurs d’une période de l’histoire de notre pays :

1-celle d’Ahmed Ibn Abi Dhiaf, historien et secrétaire particulier de cinq beys successifs. Une personnalité qui se distingue par ses écrits, ses positions audacieuses en faveur des réformes et sa lettre sur le statut des femmes tunisiennes. Né à Tunis en 1804 et mort en 1874 : 

<< Quand les vertueux, les braves sont supplantés, évincés et que les ignobles, les vils sont sacrés ; ce sont là les signes avant-coureurs de la chute des Etats>>.

2- celle bien connue d’Abderrahmane ibn Mohammed ibn Khaldoun, précurseur de la sociologie, économiste, philosophe de l’histoire, géographe et homme d’Etat du temps des berbères Hafsides ;né à Tunis, (1332-1406). 

<< Ne conférez pas aux fils des vils ignobles, ceux de la lie de la société, le commandement de l’armée et celui des affaires publiques. Ne les désignez pas non plus comme juristes. Une fois investis de ces importantes charges, ils s’évertueront dans l’oppression. Ils incrimineront à tort les innocents et les enfants des nobles. Car le complexe d’infériorité, est à jamais, gravé dans leursesprits. ».

-1861- souk lblat, la médina de Tunis.L’apprenti barbier est appelé à se presser. Son patron craint ne pas pouvoir arriver à temps et voir le cortège du bey. Ce dernier vient inaugurer la nouvelle bâtisse du consulat de France. Ils espèrent arriver à Bâb Bahar (la porte de France), les premiers, afin de pouvoir ramasser les souslancés par le beyaux nus pieds. 

Mustapha, (dans sa poche ce rialtroué, que lui a donné le soldat du bey qui l’a sauvé du joug d’un truand), et son patron retournent à la shop du barbier, bredouilles et déçus.

Un rial troué…une destinée démente

 Habillé d’une jellâba toute rafistolée, l’apprenti barbier, sort dans une nuit noire, à la recherche de ce qui pourrait taire le gazouillis de sa panse et un verre qui lui ferait oublier sa méprisable et désespérante condition.

 Il allait perdre patience et rebrousser chemin ; quand soudain, son regard se pose sur un tout nouveau et élégant bar. Il se faufile et quémande un verre auprès d’une femme. Il est surpris par une main le trainant avec force vers la porte. Il se heurte à un homme. 

Le personnage, à l’allure imposant le respect, exige un coin isolé et invite Mustafa à le suivre. Après des heures de souleries, Mustafa sort le rial troué, c’est bien lui l’officié qui lui avait jeté cette pièce sans valeur, après l’avoir sauvé d’un truand.HajZouheir a fini par se remémorer l’incident.

Il lui annonce qu’il a décidé d’instaurer une indéfectible amitié entre eux. Il l’avise, qu’il est dès ce jour, extirpé de la vie « d’insecte », celle vécue jusqu’à cet instant. A l’évidence, Mustafa, ce voyou, ne manquera pas de sortir Haj Zoubeir de sa lourde solitude de mamlouk dégradé.

Depuis, Mustafa se voit chéri et choyé. Il ne s’étonne guère ;il prend de jour en jour, conscience de ce que la nature lui a prodigué : une grande beauté. Aussi, est-ilprédisposé à jouer, auprès de certains hommes du pouvoir, les rôles répondant à leurs désirs et penchants.

C’est fini la vie d’errance.N’empêche, il lui arrive, toute fois, de se remémorer que dès l’âge de sept ans, il s’était habitué à vagabonder misérable, à Bâb Bahar. En compagnie de ses amis clochardisés, ils gambadaientà la recherche d’un bout de pain et d‘un verre pour assouvir leur soif et pour gommer de leurs petitestêtes leur maudite condition. Il lui arrivait même, de ramasser les mégots de cigarettes en vue de les vendre, aux aurores, à des soulards.

Haj Zoubeir, l’homme ayant sauvé Mustafa des bas-fonds et de l’errance, était un mamlouk officié de la garde du bey. Il est aujourd’hui l’un des secrétaires du palais. De son coté, Mutafa a fini par accepter la fréquentation des jeunes eunuques du palais du Bardo. Il ne s’est pas, non plus, privé de s’accommoder et d’acquérir leur art dans le domaine du libertinage, du dévergondage tout en préservant son fond corrompu et pervers.

Tout va basculer quand

Le chef de la garde du bey par convoitise, va acheter de force, mais à un prix exorbitant, Mustafa de chez Haj Zouheir. Auparavant, ce dernier s’est rendu compte de la relation qu’avait établi le beau garçon avec une splendide maltaise. Il l’emprisonne au palais du Bardo, l’empêchant de mettre les pieds au dehors de son enceinte.

Mustafa, ne supportant plus l’isolement et l’ennui, s’aventure à franchir l’aire tracée et réservée aux employés pour atteindre les jardins de l’aile beylicale. Un garde le surprend et le contraint à le suivre de force chez Alala Bazay, chef de la garde du bey. Ainsi, Mustafa se voit, de ce jour, catapulté mignon de Sadek bey.

D’instinct, depuis son jeune âge, il savait qu’il était prédestiné à cette vie de dépravation et à un prix dérisoire. Aujourd’hui, sa bonne étoile, mais aussi et surtout son beau physique, un don de la nature dont il est conscient, lui dictent de poursuivre la même voie, mais à un prix fort affriolant.

Il ne tarde pas à charmer et envouter Sadek bey. Il exécute tous ses appétences, inclination et concupiscence. En même temps, il lui fait part de tout ce qui se produit au palais. Il concocte et mitonne les ragots des cancaniers afin de répondre aux désidératas de son protecteur.

Aussi, l’auteur nous décrit avec minutie, les fourberies de Mustafa et par la même, les arcanes du pouvoir au palais du Bardo à l’époque de Sadek bey. Il use judicieusement des adages et des proverbes de pur Jus tunisiens. Il énonce ceux que l’on connait et d’autres oubliés de nos jours. La plupart sonttellement bien à propos (par moment amènes et d’autres fois, insultants), qu’ils ne manquent pas de déclencher chez le lecteur d’interminables fous-rires. Ben Ammou nous conduit à croire que c’est là la part importante de notre dialecte d’antan, courammentpratiqué par le bey et ses ministres.

En très peu de temps, Mustafa évince son bienfaiteur Allala Bazay.Il s’approprie le commandement de la brigade des gardes du palais du Bardo. Il s’emploie sans commisération,à briser l’échine de tous ceux l’ayant calomnié et ayant glosé sur son compte. 

Mustafa ben Smail va manœuvrer avec grande maestria, usant d’une influence démesurée sur Sadek bey. Dès lors, Il va se confectionner un rôle, avec grand art, auprès du bey. Et il ne vapas tarder à disqualifier, sans sourciller, le premier ministre Mustafa Khaznadar.

Il est vrai que ce dernier, par moultes fourberies, s’est constitué une fortune colossale au dépend du pays et de ses habitants.  A la suite du décès d’Ahmed bey en 1855, il n’a pas trouvé mieux que de s’emparer et faucher ce que le bey Ahmed, sa vie durant, a entassé. Il ne s’est pas seulement dispensé d’affecter cette fortune au trésor public, il a raflé stoïquement, tous les bijoux et biens amoncelés par la famille beylicale.

La Tunisie 1867

D’ailleurs, cette gestion du pays par Khaznadar et l’appauvrissement des Tunisiens, a fait glisser la Tunisie dans une situation dangereuse. Elle aboutit à la révolte de Ben Ghedhahem qui se propage dans les trois quarts du pays. 

Mustafa ben Smail, conseille à Sadik bey de nommer le général Khair-Eddine premier ministre. Il arrache à ce dernier la promesse de lui accorder le poste d’un important ministère. Au bout de trois ans, Khair-Eddine, ne pouvant avoir la latitude de gérer les affaires du pays et apporter les réformes douloureuses nécessitées par la situation, a préféré démissionner.

L’auteur ne fait pas l’impasse sur les convoitises et les rôles joués par les chancelleries de la Grande Bretagne, de la France et de l’Italie. Le soutient du consul français donne du cœur au ventre à Mustafa ben Smail. Il brigue le poste de Khair-Eddine et l’obtient sans peine. La Tunisie est ainsi située « au cœur de la meule de grains » : « fi kalb erha ». 

Entre temps, Khair-Eddine Ettounsi va être sollicité par le sultan Abdülhamid II. Le sultan est subjugué par son œuvre « Aqwam al-massalek li ma’rifat ahwal al-mamalik » : le plus sûr moyen pour connaitre l’état des nations.Il lui attribue la chargede grand vizir de la porte suprême. A Istamboul,il rédige des mémorandums.Il les adresse au sultan Abdülhamid II. Les pertinentes réformes suggérées n’ont malheureusement pas trouvé d’échos. Khair-Eddine Etounsi, de par ses écrits et sa philosophie, est considéré pionnier de la modernisation. 

Hassanine Ben Ammou, est l’auteur de nombreux ouvrages dans une langue arabe très accessible. Il est le grand romancier spécialiste du genre historique. La lecture de ce passionnant ouvrage est un réel enchantement et volupté. Il nous plonge dans l’histoire de la Tunisie de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. En usant d’un style engageant et léger, Ben Ammou, captive et avise le lecteur sur d’obscures passages de cette histoire de la Tunisie.  

A.A SOULA

 

 

 

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