C’est à y perdre la tête. On ne sait plus à quel saint se vouer. Les informations autour de la météo vont dans tous les sens. Cela fait un bon bout de temps que ça dure. Suffit-il qu’en hiver il y ait quelques gros nuages attendus pour que les professionnels du buzz s’y investissent à la diable. On parle tantôt de cyclones ravageurs, tantôt d’inondations catastrophiques sinon tout bonnement de déluge.
Ces derniers jours, idem avec la vague de chaleur qui sévit depuis quelques jours. Pour les uns, c’est la canicule, pour d’autres, ce sera l’été le plus chaud historiquement sous nos cieux. Un interviewé qualifié d’“expert” a même asséné sur les ondes d’une notoire radio de la place que les réserves en eau des barrages seront volatilisées d’une manière vertigineuse et inédite. Ce qui a provoqué le courroux d’un autre expert qui lui a réservé la réponse du berger à la bergère.
Bien évidemment, en filigrane de tout cela, il y a l’absence d’une information officielle précise et crédible. Celle distillée par l’institut national de la météorologie demeure à bien des égards archaïque, vague et non dynamique. Témoin, son site officiel sur le web qui rappelle les versions éculées des premières images animées d’il y a plus de trente ans.
Effronterie et ensauvagement
Le citoyen lambda s’y perd. Parce que c’est un citoyen essentiellement branché sur les réseaux sociaux, Facebook en prime. Et la logique des réseaux sociaux n’est guère soucieuse d’informations précises, exhaustives et argumentées. Il y a davantage les réflexes du buzz, du m’as-tu vu et de la surenchère. Les fake News y pullulent et les aprioris réducteurs y sont légion. Ajoutons-y une surdose d'irresponsabilité, anonymat et faux profils obligent, doublée d’effronterie et d'ensauvagement affectif, et l’on comprend les inévitables méandres de cette sphère. Elle évolue de surcroît en exponentiel et privilégie l’alarmisme et la sinistrose.
N’empêche. L’information météo est stratégique tant à l’échelle macro-sociétale qu’au niveau individuel. Tous les citoyens en sont de fervents adeptes pour des motifs aussi innombrables que les exigences de la vie sociale, de la plus anodine à la plus solennelle et grave. S’il y a un responsable de tout cela, ce sont bien les sphères officielles et institutionnelles, encore incapables de s’acquitter de la tâche informative à ce propos comme il se doit.
D’ailleurs, le phénomène dépasse la seule météo. Même l’information économique n’échappe pas à ce topo plutôt anachronique. Et les réseaux sociaux précisément ont enfanté nombre de nouveaux gourous à côté des instances et voix autorisées ou supposées être comme telles.
L’abîme des médias traditionnels
Notre époque est marquée par des ruptures fondamentales et des scansions. L’un de ses aspects majeurs concerne la crise universelle qui frappe les médias de plein fouet. Tant dans la propagation que côté supports et livrables. J’en sais quelque chose. Dans les années 80 du XXe siècle je travaillais au quotidien La Presse. On tirait à 60 mille exemplaires quotidiennement avec des pointes atteignant les 120 mille exemplaires le dimanche. Les taux d’invendus étaient négligeables. Aujourd’hui, on n’ose guère comparer tant c’est antinomique et aux antipodes.
Côté formation et journalistes, c’était également différent, très différent même. Le Tunisien, toutes catégories confondues, était un lecteur assidu des journaux. Tous les aspects de la vie y défilaient, certes pas dans la transparence et la pertinence requise côté politique, mais c’était soigneusement concocté et assorti. Paradoxalement, la chute a commencé aux lendemains immédiats de la révolution de 2011, après une brève période d’effervescence. Pourtant, elle fut hâtivement baptisée révolution de la liberté et de la dignité.
Parallèlement, les réseaux sociaux ont pris de l’ampleur, voire même explosé. Les médias traditionnels n’ont pas pu assumer la mue et l’adaptation aux nouveaux modes de consommation, goûts et mœurs. Avec les dernières crises, Covid-19, guerre russo-Ukraine et génocide de Gaza en prime, c’est désormais l’hécatombe des médias traditionnels et surtout archaïques.
Prétentions et querelles de coqs
Pour revenir à l’information officielle inexistante ou non crédible quant à la météo, il faut prendre en considération les profils des nouveaux informateurs, ou plutôt des apprentis informateurs. Ils passent le plus clair du temps à faire de la surenchère, afin de s’attirer les likes et les congratulations facebookiennes, et surtout à se tirer dans les pattes. C’est à qui mieux-mieux. Tels les épouvantails dans les champs, celui qui effraie le plus a la côte. Et l’on assiste par moments pantois et abasourdis à des duels à fleurets aiguisés dans le bal des vampires. Prétentions narcissiques et querelles de coqs tiennent le haut du pavé. Moins sinistrose que moi tu meurs.
Nous le savons depuis toujours, en l’absence d'information officielle crédible, la rumeur devient le plus grand mass média. C’est typique de notre pays depuis très longtemps déjà. Et c’est non moins typique de nos responsables et de notre administration de broder dans le registre de la nullité côté information.
La sagesse populaire ne s’y trompe guère en général. Mais à l’ère du tout-numérique la donne change. On craint déjà la foule et ses pulsions sourdes, que dire de l’opinion quand elle devient foule. Et puis les professionnels des fake News sont aux aguets. Ils ne s’y adonnent point par pur sadisme. Il y a bien des agendas secrets qui sous-tendent leurs desseins.
En bourse, il faut acheter la rumeur et vendre la nouvelle, n’est-ce pas ? Suivez mon regard.
S.B.F