Par Chokri BACCOUCHE
Le problème généré par la crise migratoire en Tunisie revient par intermittence au-devant de la scène nationale comme une plaie qui refuse de se cicatriser. Il s’assagit relativement un temps mais gagne en intensité illico au gré des événements ou plutôt des incidents qui se produisent ça et là, particulièrement dans certaines régions du pays réputées pour être l’épicentre des flux de migrants subsahariens dont notamment El Amra et Jebeniana. Ces deux villes relevant du gouvernorat de Sfax sont régulièrement le théâtre de tensions opposant les populations locales à des migrants qui donnent lieu parfois à des confrontations violentes. Les réseaux sociaux, faute d’une communication claire de la part des pouvoirs publics, y rajoutent une bonne couche en se faisant les relais de la crainte ressentie par de nombreux citoyens. Bref, loin de se résorber, la crise s’aggrave au fil des jours et impose au pays des défis majeurs au triple plan humanitaire, social et sécuritaire.
Tout récemment, la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, s’est fendue d’un large sourire lors de sa dernière sortie médiatique en déclarant que le nombre des migrants qui ont débarqué ces derniers mois sur les côtes italiennes a considérablement baissé. Meloni qui avait fait de la lutte contre l’émigration irrégulière son principal cheval de bataille tout au long de sa campagne électorale qui l’a conduite à la tête de la Primature de la Botte voisine, a toutes les raisons de jubiler car son plan initial semble marcher à merveille. Les mesures de contrôle sévères aux frontières imposées par les autorités tunisiennes ont largement contribué à cette inespérée embellie qui donne la preuve formelle que la Tunisie a pleinement rempli ses engagements. Seulement voilà, la médaille a un sacré revers car s’ils sont moins nombreux à braver les périls de la mer dans l’hypothétique espoir de rejoindre l’eldorado européen, le nombre de desperados coincés en Tunisie est, en revanche, de plus en plus massif et atteint, semble-t-il, des proportions alarmantes. Selon les statistiques officielles du ministère tunisien de l’Intérieur, environ 23 mille migrants en situation irrégulière seraient actuellement présents sur le territoire national. Des estimations non officielles suggèrent toutefois que ce nombre pourrait dépasser les cent mille personnes. El Amra et Jebeniana, les deux régions les plus touchées par ce phénomène, abriteraient à elles seules près de 60 mille migrants subsahariens qui vivotent dans des camps anarchiques et insalubres. Les conséquences d’une telle présence massive de migrants livrés à eux-mêmes se mesurent à l’aune des actes de vandalisme qui ont touché les infrastructures publiques ainsi que la destruction de nombreux pieds d’oliviers, sans compter les attaques qui ont ciblé des biens privés.
Il ne faut pas s’étonner outre mesure dans ces conditions extrêmes et abracadabrantes si la coexistence entre les migrants et les populations locales deviennent aussi tendus. Les citoyens de ces régions assez déshéritées qui ont déjà du mal à s’en sortir digèrent très mal le fait d’être privés d’exploiter leurs maigres biens et d’accepter un fait accompli qu’ils n’arrivent pas à comprendre, encore moins à concevoir. Voilà en gros où on en est aujourd’hui, c’est-à-dire qu’on est confronté à une situation déplaisante, de plus en plus difficile à gérer et qui pourrait dégénérer à tout moment si des mesures efficientes et urgentes n’étaient pas prises pour résoudre durablement le problème. Sans verser dans l’alarmisme, il est impératif d’adopter une approche plus réaliste et pragmatique pour résorber cette satanée crise migratoire qui pourrait se corser davantage au fil des jours. Il faut reconnaître que la Tunisie, qui est déjà confrontée à de nombreux problèmes économiques et sociaux, est incapable, objectivement parlant, de gérer seule une situation aussi explosive. Seule une action concertée et collective qui engage l’ensemble des organismes internationaux ainsi que les pays émetteurs de migrants est susceptible de résoudre ou à tout le moins atténuer l’ampleur de cette crise humanitaire majeure. Dans ce cadre, l’Europe, en tant que première destination concernée par ce problème, peut et doit faire mieux pour porter assistance aux pays situés en première ligne dont la Tunisie et auxquels elle doit en fait une fière chandelle. Le vieux continent serait d’ailleurs bien inspiré de mettre davantage la main à la pâte car si la Tunisie – que Dieu nous en garde – était complètement débordée par cette crise, c’est l’ensemble des pays de la rive sud de la Méditerranée qui en subiraient inévitablement ses effets pervers au double plan social et sécuritaire. Les dirigeants européens, qui ont cherché d’une manière ou d’une autre à exporter le problème vers d’autres pays, croyant bien faire, doivent se rendre à l’évidence que «l’enfer de l’émigration irrégulière» n’est pas seulement les autres. Ils seraient d’ailleurs naïfs de penser qu’ils seront éternellement à l’abri de la déferlante en se contentant de fournir quelques maigres subsides à ceux à qui ils ont confié la charge d’assurer la sécurité de leurs propres frontières…
C.B.