Le long d’une décennie, les Tunisiens ont continué à fêter la fin de la dictature, le 14 janvier 2011, avec un enthousiasme qui, il faut l’avouer, n’est vraiment plus ce qu’il était, perdant son ardeur et son énergie d’il y a quelques années. Mais bon nombre d’entre eux restent attachés à cette date emblématique, car elle symbolise l’aboutissement de la plus grande mobilisation populaire contre le régime en place de toute l’histoire du pays. Toutefois, depuis 2021, l’anniversaire de la révolution est célébré le 17 décembre. Le décret portant sur les fêtes nationales et jours fériés reconnus par la loi officialisant l’amendement de la date de la célébration de la chute du régime de Ben Ali est paru au Journal Officiel le 8 décembre 2021. Malgré tout, nul ne peut nier que le 14 janvier 2011, c’est le jour où l’impensable est devenu réalité: une dictature vieille d’un quart de siècle mais des plus brutales, qui s’écroule comme un château de cartes sous une révolte pacifique populaire spontanée. Le choix de Kaïs Saïed de redéfinir la date symbolique de la révolution, qui n’a pas manqué de susciter la grogne d’une partie de la population, a été justifié par la volonté de recentrer la mémoire collective sur ses origines populaires et régionales. Le 17 décembre 2010 marque l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, un acte de désespoir qui déclenche une vague de protestations contre l’injustice sociale, l’exclusion et la corruption. Saïed voulait rappeler que l’œuvre de la révolution ne s’était pas forgée dans les couloirs du pouvoir à Tunis, mais dans les régions marginalisées qui ont longtemps été négligées par l’État. Une vision farouchement défendue par le chef de l’Etat avec sa rhétorique axée sur la lutte contre un système injuste et récriminatoire incarné par les élites, les partis politiques traditionnels et les institutions, tous éloignés des vraies préoccupations de la population.
Au-delà de la polémique sur les dates, le 17 décembre et le 14 janvier ne doivent guère être une source de division, mais comme deux instants cruciaux et décisifs d’un mouvement historique. Le premier décrit l’origine d’un soulèvement enraciné dans la souffrance et les aspirations d’un peuple qui décide de prendre son destin en main, et le second définit l’apogée de la lutte illustrée par l’effondrement du pouvoir. Quelle que soit la date, aujourd’hui, 14 ans après le jour où l’on a déclaré la fin du régime Ben Ali, les Tunisiens peinent toujours à achever leur œuvre. Le 14 janvier 2025 ne peut alors être qu’une énième occasion pour les Tunisiens de se regarder dans le miroir, tirer les leçons d’une révolution toujours inachevée et se taper sur les doigts si nécessaire. La première leçon est qu’aucun changement n’est possible sans l’unité et la persévérance. L’autre enseignement fondamental est que les revendications économiques et sociales sont les moteurs de ce changement souhaité et que les inégalités entre les régions, l’absence de perspectives pour la jeunesse qui ont été le carburant des contestations, demeurent toujours insatisfaisantes. Bien qu’officiellement, le 14 janvier soit un jour ordinaire, les Tunisiens doivent enfin comprendre, encore une fois aujourd’hui, que la transition démocratique est un long chemin parsemé d’embûches et de désillusions, mais qui débouchera sans doute sur un avenir meilleur. L’œuvre doit toutefois se construire sans division et dans le respect des différences. Malgré les difficultés, la Tunisie dispose d’un potentiel considérable pour poursuivre son chemin vers un avenir meilleur. L’un des atouts majeurs reste la résilience de sa société civile, qui a joué un rôle clé dans la transition démocratique. Il y a aussi un énorme potentiel économique inexploité. L’investissement dans les énergies renouvelables, l’agriculture durable, le tourisme alternatif et les industries numériques pourrait offrir des solutions à tous les problèmes de développement, réduire les disparités et ouvrir de horizons à des millions de jeunes désespérés qui, avec leur énergie, leur créativité et leur soif de changement sont capables de construire une Tunisie inclusive et prospère.
H.G.