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Islam et éducation : Éduquer pour former un être équilibré

Par Myriam Ben Salem-Missaoui

La civilisation musulmane considère qu’il ne suffit pas d’apprendre à lire, à écrire, à compter, à recevoir des informations pour être équilibré, efficace et heureux. Maîtriser les fondamentaux est nécessaire, mais pas suffisant. Il faut former un être équilibré, complet, médian, car si une partie de celui-ci manque il peut sombrer. 

Cela signifie qu’en plus du savoir scientifique et technique, outils pour le développement, il faut cultiver, éduquer et donner à penser sur ce que sont l’humain et le but de l’existence, sans enfermer ni contraindre.

Au cœur de cette approche se situe l’éthique, l’humanisme, le respect de la vie, de l’altérité, de la diversité des opinions, des cultures et du monde, et les spiritualités, comprises comme richesses. Cela n’empêche pas d’enseigner l’unitaire, de mettre en valeur un récit national, des repères communs, des spécificités, en dialogue avec d’autres valeurs et l’universel. Certes, la foi est une affaire personnelle, intime et privée, mais étudier les religions et donner à penser sur cette dimension humaine est légitime.

La conjugaison de l’un et du multiple est incontournable pour diffuser la culture du vivre ensemble. L’éducation authentique se fonde sur le fait que nul n’a le monopole de la vérité et aucun aspect ne peut seul répondre aux besoins humains. L’éthique éducationnelle relève du respect des valeurs communes et plurielles, afin de dépasser l’égocentrisme  et  l’isolement. En outre, l’idéal est de conjuguer culture de l’autonomie de l’individu, en développant chez ce dernier le sens critique, et de l’autocritique, afin qu’il devienne libre et responsable, et en même temps se prépare à être une personne qui respecte l’être collectif, le bien commun.

Cet équilibre, comme celui entre l’un et le multiple, l’origine et le devenir, la liberté et la loi, le féminin et le masculin, l’efficacité et l’éthique, que l’islam vise dans le monde entier en ces temps modernes, nous n’avons pas réussi à le réaliser par l’éducation et l’exemplarité, à force d’excès des uns et des autres optant pour seulement l’une des dimensions. Aujourd’hui, face à la disjonction, aux dérèglements – perte des repères, crise d’autorité, crise du savoir, du lien social, absence d’éthique et crise économique –, il est judicieux de découvrir les spécificités de l’éducation selon la civilisation musulmane. Réussir le système éducatif est une responsabilité partagée par les pédagogues, les parents, la société civile, l’État, la classe politique et les élites. D’autant que l’école est menacée autant par les forces du repli que par celles de la marchandisation du monde. Sur le plan de l’évolution, les pédagogues des sociétés musulmanes sont confrontés à la problématique, ou tension, entre trop d’interdits, ou absence d’interdits, et à la séparation outrancière des savoirs, entre les humanités et la technoscience, entre la rentabilité et l’éthique.

Pour l’islam, une identité est plurielle et évolutive, articulant et traduisant sous des formes variées le sens du rapport au temps, à l’espace, à autrui et à l’au-delà du monde. Chacun a le droit de mettre l’accent sur tel ou tel aspect de ses racines, de son parcours et de son identité, mais à condition de ne pas nier ce droit aux autres, ni de marginaliser ou d’exclure les autres aspects qui constituent l’être humain. Nul n’est monolithique.

Dans ce sens, la question de l’éthique est décisive, au sens de repères et de normes pour la cité, le vivre ensemble. Si une nation veut accéder au degré de civilisation, l’islam répond : c’est par l’éducation complète, qui tient compte des besoins spirituels, éthiques, culturels, pas seulement techniques, matériels et économiques. Pour la construction d’un destin commun, la civilisation musulmane propose de ne pas opposer l’esprit scientifique et la spiritualité, ainsi que les valeurs locales à celles universelles, sans les confondre.

L’éducation selon le Prophète, qui a souligné être venu pour « éduquer », doit permettre la recherche libre, publique et commune du Bien, du Beau et du Juste, qui détermine tous les domaines de la société. S’interroger sur l’avenir de l’humanité en tant qu’être libre et responsable, c’est concourir à le préparer, à le préserver, à éliminer les risques. C’est ce combat pour les valeurs fondatrices d’une cité civilisée, d’une écologie humaine, que propose la civilisation musulmane, en transcendant les différences et les divergences. L’islam considère que le point de rassemblement des contraires, c’est l’individu lui-même, la pierre de touche, qui apprécie le réel, opère des choix, agit et produit telle pensée, telle valeur plutôt que telle autre. L’éducation réussie favorise une double tâche : d’une part, affirmer sa personnalité en vue d’étendre à l’infini la faculté de choix, de maîtriser ses besoins et ses penchants ; d’autre part, se former à des compétences scientifiques afin d’être utile à la société. Le citoyen est doublement éduqué : selon le savoir profane, rationnel, et d’après la parole coranique et les dires du Prophète, qui appellent à se connaître soi-même et à découvrir l’origine et le devenir du monde dans lequel on vit. L’éducation moderne diffère de celle de la civilisation musulmane du fait qu’elle met surtout l’accent sur la science et l’extériorité.

La civilisation musulmane non seulement vise la possibilité de librement faire fructifier le monde et d’avoir une mainmise sur les choses, mais aussi de ne pas devenir esclave des choses, de prendre du recul, par un effort d’intériorisation. Si l’aventure offerte au moderne est celle du choix libre, créateur, le destin à réaliser par le musulman est d’y adjoindre la possibilité de la libre consécration au culte, à la spiritualité, en tenant compte de l’éthique. La méthode est l’articulation entre raison et foi, sans confusion ni opposition.

Le problème, dans le monde d’aujourd’hui, est celui de la connaissance divisée, séparée, opposée. Sont cloisonnées deux approches pourtant complémentaires : d’un côté, la voie de l’éducation aux valeurs de l’esprit, au fait religieux, à la culture spirituelle, à la théologie ; de l’autre, les méthodes rationalistes, de l’observation scientifique, du calcul et de la démonstration. Deux chemins de la connaissance que l’islam n’oppose pas mais qu’il articule. Ce qui a donné la culture gréco-arabe et la civilisation islamique universelle, à la fois proches et différentes du christianisme et du judaïsme. L’éducation musulmane a eu son humanisme classique et c’est par les Arabes que l’Europe a retrouvé Platon et Aristote.

M.B.S.M.

 

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